
– L’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Iran est un scénario noir pour les monarchies du Golfe. Le soutien qu’elles ont manifesté à l’Iran depuis le 13 juin, en condamnant l’attaque israélienne contre cette « nation amie », pourrait ne plus suffire. Elles ont été placées en état d’alerte face à d’éventuelles représailles de Téhéran, qui menace d’attaquer les bases américaines sur leurs sols et de fermer le détroit d’Ormuz, une voie commerciale stratégique dans le golfe Arabo-Persique. Dimanche 22 juin, les monarchies du Golfe ont, en chœur, appelé à la désescalade et à une sortie de crise politique. La fuite en avant belliqueuse d’Israël, tenté par un changement de régime en Iran, nourrit leur peur d’un engrenage vers une guerre incontrôlable et généralisée au Moyen-Orient.
Jusqu’au moment des frappes américaines, dans la nuit de samedi à dimanche, les responsables golfiens ont essayé de convaincre le président Donald Trump de renoncer à l’option militaire pour donner sa chance à la diplomatie. « La désescalade est extrêmement importante. Nous pensons toujours qu’il existe une voie de retour aux négociations », plaidait, vendredi, Anwar Gargash, le conseiller diplomatique du président émirati, Mohammed Ben Zayed Al Nahyane, devant des journalistes, dont Le Monde. « Riyad ne soutient ni l’escalade ni un changement de régime, soulignait Ali Shihabi, un analyste politique saoudien. Une solution diplomatique semble très difficile à trouver actuellement, mais pas impossible. »
Le ralliement d’Abou Dhabi et de Riyad aux efforts de médiation du Qatar et du sultanat d’Oman confirme le changement d’approche dans les deux capitales, jadis fervents soutiens, aux côtés d’Israël, de la politique de pression maximale de M. Trump. Certes, l’affaiblissement de la République islamique et de son programme nucléaire, après celui de ses alliés, le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais, puis la chute du dictateur syrien Bachar Al-Assad, est un « changement géostratégique » bienvenu pour les monarchies sunnites. Mais après avoir subi les représailles de Téhéran sur leurs installations pétrolières, auxquelles les Etats-Unis n’avaient pas répondu durant le premier mandat de Donald Trump, Abou Dhabi et Riyad ont misé sur la détente et le rapprochement avec leur grand rival chiite.
Obstacle à une stabilisation régionale
Cette stratégie de « neutralité positive » a été payante. Elle a tenu les monarchies du Golfe à l’écart des confrontations qui ont embrasé la région depuis le début de la guerre à Gaza, en octobre 2023. Israël, qui poursuit des guerres à Gaza, au Liban, en Syrie, au Yémen et désormais en Iran, et parle de redessiner un « nouveau Moyen-Orient » par la force, menace leurs efforts. L’Etat hébreu leur apparaît désormais comme un acteur déstabilisateur, un obstacle à leur vision d’une stabilisation régionale par le dialogue et l’intégration économique.
« Les préoccupations doivent être résolues par la voie diplomatique… Les problèmes sont nombreux dans la région. Si nous choisissons de tout régler au marteau, rien ne restera intact, déplore ainsi Anwar Gargash. Cette guerre va à l’encontre de l’ordre régional que les pays du Golfe souhaitent construire, qui est axé sur la prospérité régionale. » Abou Dhabi et ses partenaires golfiens partagent l’inquiétude d’Israël à l’égard de la menace posée par le programme nucléaire iranien. Mais, à leurs yeux, la réponse ne peut être que politique, pour s’assurer le respect par l’Iran de ses engagements internationaux. Les Emirats plaident pour que l’Iran renonce à enrichir de l’uranium, sur leur modèle. Dans le cadre de l’accord 123 signé en 2009 avec les Etats-Unis, ils reçoivent un soutien technologique américain pour leur programme nucléaire civil et s’approvisionnent en uranium sur le marché mondial.
La poursuite de la guerre en Iran pourrait contrarier le développement économique des monarchies du Golfe – leur priorité. « Toute action militaire sera préjudiciable à l’ensemble de la région », insiste le conseiller diplomatique émirati, évoquant la déstabilisation engendrée par l’offensive américaine en Irak en 2003. En l’absence d’alternative crédible au régime des mollahs, l’Iran est, à leurs yeux, menacé de sombrer dans le chaos. Les monarchies du Golfe pourraient, elles, devenir la cible de représailles. « L’Arabie saoudite a dit à l’Iran qu’elle riposterait contre les infrastructures pétrolières iraniennes si l’Iran attaquait ses infrastructures. Elle est donc préparée, mais elle ne s’attend pas à ce que cela se produise », prévient Ali Shihabi.
Lors de sa tournée dans le Golfe, mi-mai, Donald Trump semblait acquis à la vision golfienne d’une stabilité régionale. Le revirement du président républicain en faveur d’une intervention militaire contre l’Iran, sous l’effet des manœuvres du premier ministre Benyamin Nétanyahou pour l’emmener avec lui, a été une douche froide. « Donnez-moi un seul exemple d’un Etat qui a attaqué cinq pays en deux ans ? Israël mène aujourd’hui des attaques sans aucun contre-pouvoir de la communauté internationale. Il n’est tenu par aucune résolution des Nations unies ni convention internationale », interpelle Mohammed Baharoon, directeur du centre de recherche B’huth, basé à Dubaï.
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