Sénégal : « Bété Bété », la série qui s’attaque au tabou des castes

Cette réalisation diffusée pour la première fois en février 2024 sur YouTube poursuit son introspection de ce système avec une deuxième saison.

Le Monde – « Depuis que tu as épousé ta sulfureuse femme guéweul (griotte), elle nous pourrit la vie… » Dès son premier épisode, diffusé sur YouTube en février 2024, la série Bété Bété (« pur sang » en wolof) introduit son sujet : le poids des castes au Sénégal. Les mauvaises langues persiflent, les familles complotent, les on-dit toxiques épousent de vieilles traditions qui elles-mêmes s’imbriquent dans une violence sociale toute contemporaine. Et une femme, l’air mauvais, de s’enorgueillir, toujours dès le premier épisode : « Dieu ne m’a donné que deux enfants, des Bété Bété… »

Depuis son lancement, Bété Bété connaît un réel succès. En août 2024, la maison de production EvenProd — l’une des plus importantes à Dakar — revendiquait 290 millions de vues pour les 52 épisodes de la première saison. La deuxième saison, lancée en décembre 2024 semble partie pour attirer autant de spectateurs.

Le succès de la série repose sur les ficelles des télénovelas sénégalaises : drames familiaux, amours impossibles, histoires d’argent… Mais les destins des personnages sont dictés par leurs appartenances respectives à des castes, système toujours en vigueur au Sénégal. Il y a les Gueer, qui se présentent comme une noblesse traditionnelle, et ceux que la société appelle « les castés », moins bien lotis dans la hiérarchie ; Teugs et Guéweuls, c’est-à-dire ceux issus des groupes des forgerons et des griots.

Barrage à l’unité

Dans le quotidien public Le Soleil, l’acteur Mame Cheikhou Gueye alias « Sanekh », qui tient l’un des premiers rôles pour lequel il a reçu le prix de la meilleure interprétation masculine africaine dans une série tv, aux Sotigui Awards de 2024 au Burkina Faso, assure que le thème portant la trame de Bété Bété explique l’engouement du public. Et il attaque de front le système des castes : « Il faut effacer cela de nos consciences parce que ce n’est pas une bonne chose. »

Le propos peut paraître anodin, et pourtant, « le sujet est entouré d’un certain tabou », note Ndiouga Benga, maître de conférences d’histoire à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar. Quelques intellectuels sénégalais s’en sont emparés. Dans Les Bouts de bois de Dieu (Pocket) d’Ousmane Sembène, paru en 1960, les castes sont évoquées, à la fois comme un ordre social ancien menacé par la colonisation et comme un possible barrage à l’unité des Sénégalais. Des étudiants de l’UCAD ont aussi planché en 2024 sur les critiques adressées à ce système en étudiant Une si longue lettre (Litos), roman de Mariama Bâ publié en 1979.

« Mais d’une manière générale, le sujet est peu adressé frontalement », remarque Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal. Dans les milieux islamiques par exemple, a priori hostiles au système de castes, « des marabouts épousent des femmes dites de basse caste afin de montrer l’exemple, mais ne prennent pas la parole à propos du système ».

La structure des castes est résiliente. Elle a survécu à l’islamisation et au socialisme sous Léopold Sédar Senghor. « Il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui refusent de répondre à des ordres d’un “casté” », remarque Ndiouga Benga. Des cas font parfois polémiques. En 2021, des personnes se revendiquant « gueer » ont ainsi tenté d’empêcher l’inhumation d’une femme issue de la caste des griots dans le cimetière du village de Pout Dagné, dans la région de Thiès. « Difficile de l’expliquer autrement que par la force même de la tradition », pense M. Benga.

Lire la suite

 

 

 (Dakar, correspondance)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile