
Profitant de l’absence de l’État, des tensions communautaires historiques, ainsi que de la vulnérabilité socio-économique des populations locales, le JNIM a réussi à s’implanter en profondeur dans la région. Les attaques ciblées, les prêches idéologiques, le prélèvement forcé de la Zakat (impôt islamique), et les assassinats sélectifs marquent cette nouvelle phase d’infiltration.
Cette dynamique n’est pas sans conséquences. Elle fragilise davantage les tissus sociaux, affaiblit les économies locales et menace d’entraîner une régionalisation du conflit, notamment vers la Mauritanie et le Sénégal.
En tant que chercheurs ayant étudié les dynamiques sécuritaires dans le Sahel, nous analysons ici les mécanismes d’implantation du JNIM dans cette zone et les implications sécuritaires régionales qui en découlent. Nous formulons également des pistes de réponse adaptées.
Une menace croissante
Face à la pression militaire exercée sur ses bastions traditionnels dans le Nord et Centre du Mali, le JNIM adopte une stratégie de contournement par l’Ouest en s’implantant progressivement dans les régions de Kayes et de Nioro. Le groupe tisse des liens avec certaines communautés locales. Cette dynamique constitue une menace directe pour l’ensemble de la zone des trois frontières Mali–Mauritanie–Sénégal, historiquement épargnée mais désormais exposée à un risque croissant d’extension du terrorisme.
– Approche communautaire et implantation discrète
Le JNIM, fidèle à sa stratégie d’expansion, adapte ses méthodes et ses objectifs en fonction des réalités socio-culturelles locales. Le groupe privilégie une approche communautaire visant à faciliter son enracinement et à obtenir l’adhésion volontaire de sympathisants, y compris de nouveaux membres issus des communautés locales.
Le JNIM exploite habilement les tensions existantes entre la population locale et les autorités étatiques, souvent perçues comme corrompues et éloignées des préoccupations des citoyens. À titre d’illustration, lors de l’attaque contre le commissariat de Yélimané (localité frontalière avec la Mauritanie) en 2024, le porte-parole du JNIM a tenu un discours en soninké, l’une des langues les plus parlées dans la région.
Ce discours visait à justifier l’attaque en présentant le groupe comme un défenseur des opprimés, dénonçant l’injustice, la corruption et l’inefficacité des autorités locales étatiques.
Exploitation des vulnérabilités structurelles
L’expansion du JNIM dans l’Ouest du Mali repose en grande partie sur l’exploitation habile des vulnérabilités structurelles, dans le but de viser le poumon aurifère du pays.
Premièrement, l’insuffisance des dispositifs des forces de défense et de sécurité, a créé un vide institutionnel que le JNIM exploite pour renforcer sa légitimité auprès des populations. Par exemple, dans le cercle de Yelimané, il n’existe aucune base militaire pour assurer le contrôle de la zone.
Deuxièmement, la pauvreté chronique et la dépendance économique vis-à-vis de la diaspora aggravent cette situation. Les transferts de fonds, bien que cruciaux pour les ménages, ne suffisent pas à bâtir une résilience économique locale durable.
Troisièmement, il y a les tensions intercommunautaires historiques et récentes liées à l’esclavage par ascendance – une situation où le statut d’ »esclave » se transmet automatiquement de génération en génération – et la violence qui en résulte, perpétrée par des supposés « nobles » ou « maîtres » contre des personnes nées en situation d’esclavage dans la région. Elles fragilisent encore davantage le tissu social de toute la zone de trois frontières (Mali-Mauritanie-Sénégal).
Ces fractures sociales sont instrumentalisées par le JNIM pour renforcer ses liens avec certaines communautés.
Enfin, la porosité des frontières et l’économie criminelle transfrontalière facilitent la circulation des combattants, des armes et des ressources. Le JNIM s’appuie sur des réseaux établis de contrebande et de trafic de bétail pour financer ses opérations, comme l’a confirmé l’étude du Timbuktu Institute.
En tant que chercheurs, nous avons pu observer que, bien avant l’arrivée du JNIM dans la région, une économie criminelle existait déjà, notamment à travers le vol de bétail. Cependant, depuis l’implantation du groupe, cette situation s’est aggravée. Les membres du JNIM effectuent désormais des passages réguliers dans les villages pour racketter les populations sous prétexte de collecter la zakat. Cette exploitation permet au JNIM de consolider son influence locale, tout en préparant son expansion vers les pays voisins.
Ainsi, les stratégies d’implantation du JNIM dans les régions, bien que localisées, révèlent une dynamique d’expansion plus large dont les répercussions dépassent les frontières maliennes.
Menaces pour le Sénégal et la Mauritanie
L’expansion du JNIM dans l’Ouest du Mali constitue une menace transfrontalière croissante pour le Sénégal et la Mauritanie. Cette dynamique est favorisée par plusieurs facteurs structurels et opérationnels.
- La porosité des frontières entre les trois pays et les réseaux criminels transnationaux
Ces frontières sont historiquement poreuses et mal surveillées. Le JNIM exploite ces passages pour faciliter le déplacement de ses combattants, le transfert d’armes et le financement de ses activités à travers le trafic de bétail et d’autres ressources naturelles.
Ces réseaux économiques clandestins sont bien ancrés et permettent au groupe d’étendre son influence sans confrontation directe avec les forces de sécurité locales.
Lecturer-researcher, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako
Source : The Conversation
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com