
En 1960, la Mauritanie accède à l’indépendance. En 2025, on parle encore de « promouvoir l’unité nationale », de « consolider la cohésion sociale ». Ce simple fait est une alerte : car lorsqu’on doit rappeler l’unité, c’est qu’elle ne se vit pas.
Dans une nation construite, l’unité est un acquis. Elle s’exprime dans les institutions, dans l’école, dans la langue, dans la justice, dans la représentation politique et symbolique. Elle se constate, elle se vit. Elle ne se proclame pas. Si, 65 ans après l’indépendance, l’unité reste un vœu pieux, c’est que la Mauritanie n’a pas voulu devenir une nation inclusive.
Une unité imposée d’en haut, jamais construite d’en bas
Dès les premières années post-indépendance, l’État mauritanien a choisi une stratégie de construction nationale centrée sur l’identité arabo-islamique, niant la pluralité ethnique, linguistique et culturelle du pays. L’arabisation forcée, l’exclusion des langues africaines (pulaar, soninké, wolof), la centralisation autoritaire de l’administration et la marginalisation politique des Afro-Mauritaniens ont établi une Mauritanie à citoyenneté différenciée.
Exemples :
• En 1966, les lycéens afro-mauritaniens manifestent contre la politique d’arabisation.
• En 1983, la réforme foncière exproprie des milliers de familles négro-mauritaniennes de leurs terres.
• Entre 1989 et 1991, des centaines de militaires noirs sont exécutés ou déportés. Des milliers de civils sont expulsés vers le Sénégal et le Mali. L’État nie toujours officiellement ces crimes.
Ce n’est pas une unité. C’est une domination.
Pourquoi les Noirs Mauritaniens n’y croient plus
Les Afro-Mauritaniens ne rejettent pas l’idée d’unité nationale. Ils rejettent une unité qui fonctionne à sens unique, une unité à laquelle on leur demande d’adhérer sans jamais leur offrir l’égalité réelle.
Ils sont exclus :
• De l’armée et des forces de sécurité ;
• De l’administration diplomatique et territoriale ;
• Des récits scolaires et audiovisuels ;
• De la langue officielle, qu’ils n’ont pas pu apprendre dans des conditions équitables.
Un jeune pulaarophone ou soninké peut être diplômé, compétent, mais rejeté à un concours administratif à cause d’une maîtrise imparfaite de l’arabe officiel. Ce n’est pas une erreur. C’est un mécanisme d’exclusion planifié.
L’unité naturelle n’existe pas. Elle se construit ou se détruit
Parler d’unité « naturelle » est une illusion dangereuse. Aucune unité n’est spontanée dans un pays aussi pluriel. Elle doit être un acte politique, juridique, culturel, symbolique, fondé sur l’égalité, la justice et la reconnaissance mutuelle.
Faute de cela, les Noirs Mauritaniens se sentent étrangers chez eux. Non parce qu’ils rejettent la nation, mais parce que la nation les rejette. Ce rejet est institutionnalisé à travers des choix politiques, éducatifs et symboliques.
Quand les symboles trahissent l’idée de nation
Une nation se reconnaît dans ses symboles : hymne, monnaie, drapeau, langue. Mais en Mauritanie, ces symboles trahissent une réalité : celle d’une identité nationale incomplète et sélective.
1. L’hymne national : un hymne d’exclusion
Le nouvel hymne, imposé en 2017, ignore toute diversité. Il est martial, unilingue, incompréhensible pour une grande partie de la population. Il n’intègre aucune langue nationale africaine. Il a été imposé sans consultation populaire, révélant une vision autoritaire de l’unité.
2. La monnaie nationale : absence de diversité
L’ouguiya actuelle n’évoque ni les figures historiques afro-mauritaniennes, ni les royaumes africains précoloniaux comme le Tekrour. Aucun billet ne porte une inscription en pulaar, soninké ou wolof. Aucune figure afro-mauritanienne n’y est représentée.
C’est un effacement symbolique, voulu. Et comme le dit l’historien sénégalais Ibrahima Thioub :
« Le silence sur les mémoires est un acte politique de violence. »
Comment y remédier : propositions concrètes
A. Pour un hymne inclusif :
• Organiser un concours national ouvert aux écrivains et musiciens de toutes les communautés ;
• Intégrer des traductions officielles en langues nationales ;
• Enseigner ces versions dans les écoles.
B. Pour une monnaie représentative :
• Inscrire en pulaar, soninké, wolof, les valeurs citoyennes sur les billets et dans l hymne national.
• Honorer des figures comme Ibrahima Moctar Sarr, Yacouba Sylla ou Kandé Boubou ;
• Montrer des symboles africains, comme le fleuve ou les cases traditionnelles.
C. Pour un Conseil des symboles nationaux :
Un organe pluriethnique, paritaire, chargé de revisiter les symboles de la République à la lumière de la diversité historique, culturelle et linguistique du pays.
En conclusion : unité ou mythe ?
65 ans après l’indépendance, l’unité nationale en Mauritanie reste un slogan, une promesse non tenue, un outil de dissimulation d’un ordre injuste.
Mais ce n’est pas une fatalité. La vraie unité ne viendra pas de discours abstraits, mais :
• De la justice pour les victimes du passif humanitaire ;
• De l’inclusion réelle des langues et cultures africaines ;
• Du respect des citoyens noirs dans les institutions, les concours, la mémoire nationale.
Comme le disait Nelson Mandela :
« La réconciliation ne signifie pas oublier le passé. Cela signifie changer la manière dont nous nous souvenons. »
La Mauritanie a besoin d’un nouveau contrat national. Pas d’unité imposée. Mais d’une unité choisie, construite, ressentie, vécue par tous. Wetov
Sy Mamadou
(Reçu à Kassataya.com le 12 juin 2025)
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