
So Foot – 55 fois international soudanais et âgé de 31 ans, Muhamed Abdelrahman est aussi le capitaine d’Al-Hilal Omdurman. Le club le plus titré du pays participe cette saison au championnat mauritanien en compagnie de son grand rival d’Al-Merriekh, à cause de la guerre civile qui ravage le Soudan depuis plus de deux ans. L’attaquant évoque le conflit et l’exil, mais aussi le football.
Depuis le mois d’avril 2023 et le début de la guerre civile, vous êtes en exil permanent : comment vivez-vous cette situation ?
C’est très difficile. J’avais été obligé de quitter très vite le Soudan quelques jours après le début du conflit, en laissant derrière moi mes parents, des membres de ma famille, mes amis, mon pays. Le club s’était organisé pour que nous puissions nous rendre en Égypte. Pendant un an, on a beaucoup voyagé : l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Rwanda, le Maroc, la Tanzanie… Puis, la fédération mauritanienne a invité Al-Hilal et Al-Merriekh à participer au championnat local. Nous sommes à Nouakchott, on vit à l’hôtel dans de bonnes conditions. La Mauritanie a fait un très beau geste, en nous invitant. Mais je ne vous cache pas que quand votre pays est en guerre, penser au football n’est pas évident.
D’autant plus que rien ne semble indiquer une fin prochaine du conflit…
Exactement. Tous les jours, on cherche à avoir des nouvelles via les médias, les réseaux sociaux, les proches. Parfois, on a l’impression que la fin du conflit est proche. Mais tout de suite derrière, on comprend que ce ne sera pas le cas. Il y a beaucoup d’inquiétude, j’ai peur que ce soit encore long. Il y a déjà eu beaucoup trop de victimes, de dégâts. Moi, j’ai eu la chance de pouvoir faire sortir mes parents du pays : ils sont en Égypte.
Avez-vous pu les revoir ?
Oui, quand nous nous sommes déplacés au Caire fin mars pour un match de Ligue des champions contre Al-Ahly (0-1). J’ai pu passer environ deux heures avec eux et c’était très émouvant, beaucoup trop court aussi. Cela faisait presque deux ans que je ne les avais pas vus, il y avait beaucoup d’émotion. Je les vois peu, mais au moins, je sais qu’ils sont en sécurité. Et on se téléphone souvent.
Des membres de ma famille sont morts, des amis aussi.
Avez-vous perdu des proches depuis le début de cette guerre civile ?
Hélas, oui. Des membres de ma famille sont morts, des amis aussi. Et je n’ai plus de nouvelles d’autres personnes. C’est très angoissant. On ne sait pas si elles sont toujours en vie. Parfois, vous êtes au téléphone avec un ami, et d’un coup, la communication s’arrête en raison des bombardements. Vous mettez des heures, parfois des jours, à pouvoir le recontacter.
Avec vos coéquipiers, la situation dans votre pays est-elle un sujet de conversation récurrent ?
On en parle beaucoup, c’est normal. Dès qu’on a un peu de temps libre, on essaie de s’informer, d’appeler la famille et les amis. On essaie aussi de se détendre, mais c’est difficile de penser à autre chose. Nous avons tellement hâte que cette guerre s’arrête, que l’on puisse retourner dans notre pays. Même si nous savons qu’il y aura beaucoup de choses à reconstruire. Il y a déjà eu tellement de morts, de blessés, de déplacés, de dégâts… Il faut que ça s’arrête, ce n’est plus possible.
Il faut que ça s’arrête
Votre club a-t-il mis en place certains dispositifs pour vous venir en aide ?
Oui, un psychologue a été missionné, et nous avons eu l’occasion de le voir plusieurs fois. Ce n’est évidemment pas obligatoire, mais vraiment, en ce qui me concerne, cela m’a fait du bien de lui parler. Et je crois que cela a aidé les joueurs qui ont voulu le rencontrer. On a aussi un staff technique qui est très compréhensif. Notre entraîneur Florent Ibenge (RD Congo), qui était au Soudan quand la guerre a débuté, est à l’écoute : il sait nous laisser des moments de repos, il sait que nous avons besoin d’être entre nous. Ce qui est également bien, c’est que les joueurs étrangers de l’équipe sont très proches de nous.
Dans ces conditions si particulières, les résultats de la sélection nationale (qualifiée pour la CAN au Maroc, et toujours en lice pour disputer la Coupe du monde) sont malgré tout excellents.
Oui. Il faut également ajouter la qualification de la sélection locale pour le prochain Championnat d’Afrique des nations en août, et le quart de finale de Ligue des champions qu’Al-Hilal a atteint. Malgré la guerre, nous parvenons à nous concentrer sur nos objectifs. Même si parfois, c’est difficile d’avoir la tête au football. Mais nous savons aussi que nous apportons un peu de joie à notre peuple, qui souffre beaucoup. Ce n’est que du foot, mais je crois que c’est à peu près la seule chose de positive pour les Soudanais. Quand nous avons affronté le Sénégal (0-0) et le Soudan du Sud (1-1) au mois de mars à Benghazi, en Libye, il y avait de nombreux Soudanais qui étaient venus, car beaucoup de nos compatriotes vivent en Libye. Il y avait beaucoup d’émotion. Quand on a entendu l’hymne national, tous les joueurs pleuraient…
Propos recueillis par Alexandre Billebault
Source : So Foot
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