Sénégal – Derrière le luxe de la Fashion Week, la précarité des mannequins

Afrique XXI – Événement phare de la capitale sénégalaise, cette semaine dédiée à la mode n’en reflète pas moins le fossé entre le cercle des privilégiés auxquels elle s’adresse et la dure réalité socio-économique vécue par une grande partie des Sénégalais. Sur les podiums, de jeunes Sénégalaises et Sénégalais défilent malgré des conditions de travail extrêmement précaires.

Jeudi 5 décembre 2024, 11 heures. À l’ambassade de Turquie de Dakar, les petites mains s’affairent. Seule une centaine de chaises, réservées à une poignée d’invités triés sur le volet, sont déjà en place. Il ne reste que quelques heures avant le lancement de la Dakar Fashion Week.

Amorcée en 2002 à l’initiative de la styliste franco-sénégalaise Adama Ndiaye et de sa marque Adama Paris, l’événement offre aux jeunes talents, tout comme aux créateurs confirmés, l’opportunité de présenter leurs dernières collections devant un parterre d’acheteurs, de médias et d’influenceurs. Ce tremplin est incontournable pour des stylistes venus de tout le continent, et pour la trentaine de mannequins recrutés pour l’occasion.

« Il y a beaucoup de pièges »

Un petit groupe s’entraîne sur l’estrade qui servira de podium le soir venu. Oumy Dione est une modèle sénégalaise de 24 ans bien connue des directeurs de casting. Elle est l’une des rares à s’être fait un nom – Souphah – dans le milieu très concurrentiel du mannequinat au Sénégal. Une consécration dans la carrière de cette étudiante en master de psychologie à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. « J’en suis très fière », confie-t-elle alors qu’une pause générale vient d’être décrétée. « C’est la première fois que je participe à la Dakar Fashion Week, et c’est l’événement le plus important de l’année. »

Oumy Dione, 24 ans, se fait maquiller avant le premier défilé à l’ambassade de Turquie. Dakar, 5 décembre 2024.
© Marie Ruwet

Le parcours de celles et ceux qui tentent de se forger une réputation en tant que modèles est semé d’embûches, et seul un petit nombre d’élus peut prétendre à réussir. « Être mannequin au Sénégal, c’est vraiment très compliqué, admet Souphah. Surtout quand on rêve d’une grande carrière à l’étranger. » Elle poursuit :

Dans ce milieu, il y a beaucoup de tentations, de pièges, notamment pour les filles. Cela ne m’est jamais arrivé, mais j’ai entendu des rumeurs sur des personnes qui promettent des défilés à l’étranger, sans contrat ni aucune preuve de leur légitimité. Tu ne sais même pas de quelle agence ils viennent. Il faut s’attendre à tout.

Les mannequins interrogés ont toutes et tous du mal à parler de leur rémunération, sans doute par peur que cela n’entrave leur carrière. Combien gagne en général Souphah pour une journée de travail ? « Les cachets ? Cela dépend des défilés », esquive la jeune fille. Et pour ses quatre jours d’activité (de 7 heures du matin jusqu’à tard dans la soirée) à la Fashion Week de Dakar ? Souphah dit ne pas avoir la moindre idée du montant qu’elle recevra. « Je me dis que ça ira. Avec les années, ils ont l’habitude de bien payer, donc ce n’est pas trop grave de ne pas connaître le cachet exact », explique-t-elle. Sa réponse illustre une réalité : il n’existe quasiment jamais de contrat…

Alors que l’heure approche, la langueur laisse place à l’effervescence : coups de ciseaux dans les chevelures artificielles, nuages épais de laque, allers-retours des pinceaux entre les palettes de maquillage et les visages des mannequins… Souphah est sereine. « J’ai juste faim et je suis fatiguée », confie-t-elle avec un large sourire, simplement ravie d’être là où elle se trouve et à l’idée de porter les différentes tenues qui lui ont été attribuées.

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Alizee Lambin

Alizee Lambin est journaliste indépendante et a notamment écrit pour La Libre Afrique

 

Marie Ruwet

Marie Ruwet est photojournaliste et documentariste basée à Dakar

 

 

 

 

Source : Afrique XXI – (Le 06 juin 2025)

 

 

 

 

 

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