Intelligence artificielle et souveraineté : pourquoi les langues africaines ne doivent pas rester à la marge

À l’ère où l’intelligence artificielle façonne nos mots, nos récits et nos imaginaires, l’Afrique fait face à un défi stratégique majeur : faire exister ses langues dans le monde numérique.

Jeune Afrique – Si le XXIᵉ siècle sera technologique, il sera aussi linguistique. Et les langues africaines, fortes de leur diversité millénaire, ne doivent pas rester à la marge. Aujourd’hui, les grands modèles d’intelligence artificielle (IA) comprennent l’anglais, le mandarin, le français, parfois l’arabe. Mais à l’échelle du continent africain, fort de plus de 2 000 langues, l’IA reste sourde.

Le risque est immense : ce silence numérique pourrait accélérer la disparition de centaines de langues, déjà fragilisées. Pourtant, une révolution silencieuse est en cours. En Afrique même. Et elle est portée par des communautés, des chercheurs, des start-ups, qui refusent que le futur se fasse sans leurs mots.

Même le swahili et l’amharique peinent à exister

Le paradoxe est frappant. L’Afrique est le continent le plus riche linguistiquement de la planète — le Nigeria à lui seul en compte plus de 500 — mais cette richesse est quasiment absente des interfaces numériques : moteurs de recherche, assistants vocaux, plateformes éducatives. Même les grandes langues africaines comme le swahili ou l’amharique peinent à exister dans l’écosystème technologique global.

Ce vide n’est pas neutre. Il façonne les usages. Quand une langue n’est pas présente sur le web, dans les applications ou les réseaux sociaux, elle perd en valeur perçue, notamment chez les jeunes générations. À terme, c’est sa transmission qui est menacée. L’UNESCO estime que plus de 40% des langues africaines sont en danger d’extinction d’ici à 2100 et que l’absence numérique pourrait être un facteur aggravant.

À Bamako, le Centre de développement de l’intelligence artificielle pour les langues (CDIAL) développe des outils technologiques pour le bambara, le mooré, le wolof. Leur ambition : intégrer ces langues dans les usages numériques quotidiens. Applications éducatives, synthèses vocales, interfaces pour les services publics : tout est pensé pour reconnecter la langue locale à la modernité.

L’Afrique est le continent le plus riche linguistiquement de la planète — le Nigeria à lui seul en compte plus de 500 — mais cette richesse est quasiment absente des interfaces numériques.

 

Plus au sud, Masakhane, une communauté panafricaine née en 2019, fédère aujourd’hui des centaines de chercheurs et développeurs dans plus de 30 pays. Ensemble, ils entraînent des modèles de traduction neuronale pour des dizaines de langues africaines : igbo, zoulou, haoussa, twi, et bien d’autres. En cinq ans, ce réseau a produit plus de 60 modèles de traduction en open source. Une performance remarquable, sans les budgets des géants de la tech, mais avec une détermination sans faille.

Ces projets incarnent une nouvelle philosophie : l’afro-numérisme. Une technologie pensée avec et par les communautés locales. Une technologie ancrée dans la diversité africaine, et non calquée sur des modèles venus d’ailleurs.

L’open source au service de la linguistique

L’intelligence artificielle repose sur un socle simple, mais redoutable : les données. Pour qu’un modèle comprenne, traduise ou parle une langue, il lui faut des corpus immenses de textes, de voix, de traductions. Or, pour les langues africaines, ces ressources sont souvent inexistantes ou éparpillées, non numérisées, parfois même interdites de publication écrite avant les indépendances africaines.

 

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Alpha Ly

Fondateur de Palabres Consulting, agence de communication et d’affaires publiques, spécialisée

 

 

 

 

Source : Jeune Afrique – (Le 03 juin 2025)

 

 

 

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