Les pays africains au défi de la réécriture de leur histoire

Comment décoloniser le récit national ? L’ambition remonte aux indépendances, mais le projet connaît un nouveau souffle, agité par des courants qui se proclament souverainistes mais aussi porté par un besoin plus profond de réappropriation.

Le Monde – La question, impertinente et légitime, s’impose chaque année à Mamadou Souleymane Sy, enseignant d’histoire-géographie au lycée de Kassack, à Saint-Louis. « Monsieur, pourquoi apprend-on si peu l’histoire du Sénégal alors qu’on sait tout de celle de l’Europe ? », l’interpellent ses élèves, le renvoyant ainsi à ses propres questionnements.

« Pourquoi demander à des élèves de maîtriser l’histoire de territoires étrangers quand ils ne maîtrisent pas la leur ? Au collège, on leur parle des civilisations d’Egypte, de Nubie, de la traite négrière, des guerres mondiales… Mais on insiste si peu sur l’histoire des royaumes issus de notre passé ! Il serait judicieux de mettre la focale sur cette histoire dès la 6e, car elle permet d’éclairer comment nous avons fait nation », estime M. Sy, qui, comme d’autres collègues du continent africain, souligne le décalage entre les programmes enseignés et l’histoire de leurs pays, encore dominée par la période coloniale.

L’ambition de décoloniser l’histoire africaine remonte aux indépendances, mais le projet connaît un nouveau souffle ces dernières années, agité par des courants qui se proclament souverainistes, mais aussi porté par un besoin plus profond de réappropriation.

Au Sénégal, depuis son arrivée au pouvoir, en avril 2024, le tandem formé par le président Bassirou Diomaye Faye et le premier ministre Ousmane Sonko a fait de la question mémorielle un marqueur emblématique de sa politique. Après avoir sanctuarisé la date du 1er décembre comme jour de commémoration du massacre de Thiaroye perpétré en 1944 sur ordre d’officiers français, le pouvoir sénégalais affirme sa volonté de mettre les contenus des programmes d’histoire « en adéquation avec les valeurs historiques et culturelles de la nation », comme l’affirme un projet en cours de réflexion au ministère de l’éducation.

« Toutes les sources seront exploitées »

Cette orientation viserait à recentrer les apprentissages sur l’histoire du Sénégal, des origines à l’indépendance, tout en intégrant l’histoire africaine et mondiale. Une feuille de route qui pourrait s’appuyer sur le projet colossal d’Histoire générale du Sénégal (HGS) initié en 2014 sous l’égide de l’historien et ancien ministre de l’éducation Iba Der Thiam. Au pays de Cheikh Anta Diop (1923-1986), intellectuel qui a contribué à replacer l’Afrique au centre de sa propre histoire et de celle du monde, l’enjeu est de rendre accessibles aux élèves du secondaire les 19 tomes publiés.

« Nous avançons vers un programme qui embrasse toute l’histoire du Sénégal, replacée dans le contexte ouest-africain, explique Mamadou Fall, coordinateur du projet HGS. C’est une nécessité car notre histoire reste captive, toujours prompte à se poser en réaction à un défi venant de l’extérieur, que ce soit les invasions almoravide au XIe siècle, almohade au XIIe ou européenne au XVe. »

Une ambition similaire traverse les pays du Sahel. Au Burkina Faso, dès 2019, à l’occasion du centenaire de la création de l’ancienne colonie française, l’ex-président Roch Marc Christian Kaboré avait exhorté les chercheurs à réécrire l’histoire du pays en vue de renforcer le sentiment national de la jeunesse. Depuis, le pays a connu depuis deux putschs, en 2022, et le projet est resté dans les limbes.

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Source : Le Monde

 

 

 

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