
– « Communistes », « fous » ou « corrompus » : lorsque le citoyen et candidat Donald Trump était inculpé dans quatre affaires en 2023, il multipliait les outrances contre les magistrats à l’origine de ses tourments. De retour à la Maison Blanche depuis janvier, son affrontement avec les juges a pris une dimension bien plus large, plaçant l’Etat de droit américain sous une tension inédite. Les magistrats fédéraux dressés sur sa route, la Constitution en main, sont « des monstres qui veulent que notre pays aille en enfer », écrivait le président à l’occasion de la fête de Memorial Day, lundi 26 mai.
« On vit sous une tyrannie judiciaire », a osé deux jours plus tard Stephen Miller, chef adjoint de l’administration présidentielle. En déclarant illégal le dispositif de droits de douane réciproques, le tribunal de commerce international de New York venait de prendre une décision fracassante. Jeudi, la cour d’appel suspendait son application, évitant ainsi à Donald Trump un revers politique manifeste.
Ce même jour, une juge fédérale confirmait la suspension de l’interdiction de recruter des étudiants étrangers, prononcée par l’administration contre l’université Harvard. Telle est la nouvelle norme : la chronique de ce second mandat du milliardaire contraint à une navette quotidienne entre les tribunaux et le bureau Ovale.
Sur tous les plans – immigration, droits de douane, reformatage de l’Etat fédéral –, l’exécutif enfreint son périmètre traditionnel, confirmant son penchant autoritaire. Mais les juges fédéraux interviennent en vigies défendant la Constitution, l’équilibre des pouvoirs et les droits individuels. Selon le site Just Security, qui recense tous les dossiers judiciaires impliquant l’administration Trump, le chiffre s’élèverait actuellement à 249, dont dix déjà clos. Ce contexte de guérilla à fronts multiples renforce le rôle de la Cour suprême, arbitre ultime, à majorité conservatrice, mais soucieuse des grands principes constitutionnels.
Ennemis de l’intérieur
L’entourage du président met en cause des magistrats supposément « gauchistes », devenus les ennemis de l’intérieur. La victoire électorale de novembre 2024 est présentée comme un blanc-seing. « Les lignes de front sont dessinées : les élites financières mondialisées, les bureaucrates non élus à Bruxelles et l’Etat profond judiciaire contre le président démocratiquement élu, Donald Trump, et ses efforts pour défendre notre souveraineté et protéger les travailleurs américains ! », assurait, jeudi, Jason Miller, conseiller de longue date du milliardaire, sur le réseau social X.
Ce même jour, la porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, a prétendu que l’administration était victime d’une forme de harcèlement. « Le président Trump a reçu plus d’injonctions [judiciaires] en un mois de présidence en février que Joe Biden n’en a eu en trois ans. » Une statistique dénuée de sens, sans prise en compte des initiatives sanctionnées. Puis Karoline Leavitt a dressé une liste non exhaustive de certaines décisions « ridicules » contre l’exécutif. Elle a évoqué aussi bien les traitements hormonaux, les licenciements annulés dans certains ministères et agences fédérales que le renvoi d’« étrangers terroristes », remis en cause par les tribunaux.
Donald Trump, lui, avait commencé sa journée en relayant sur Truth Social un montage photo de lui-même, en noir et blanc, avec cette légende : « Il est en mission divine & personne ne peut arrêter ce qui vient. » Personne ? Les juges s’y emploient.
L’affrontement est particulièrement sévère sur la question migratoire. « La législation en la matière est un domaine offrant à l’exécutif une grande liberté discrétionnaire, souligne Aaron Reichlin-Melnick, de l’association American Immigration Council. Néanmoins, comme l’ont établi de multiples juges fédéraux, l’administration Trump 2 est bien plus agressive que Trump 1 dans son désir de contourner les lois, jusqu’à les violer. Dans la majorité des cas, elle respecte les décisions judiciaires défavorables, mais on l’a vue de façon répétée essayer de trouver des failles dans les jugements et d’en violer l’esprit autant que possible, en prétendant respecter la lettre. »
L’avocat Muzaffar Chishti, expert au sein de l’organisation Migration Policy Institute, souligne la conviction qu’a Donald Trump : celle de devoir son élection en 2016 comme en 2024 à l’immigration. « Il pensait cette fois avoir le champ libre pour organiser une opération d’expulsions massives, d’autant que le pays était derrière lui, contrairement au premier mandat, à cause de la crise à la frontière. L’administration actuelle a donc été profondément choquée par la résistance rencontrée dans les tribunaux, y compris parmi des juges que Trump avait nommés, et jusqu’à la Cour suprême. »
Pour Muzaffar Chishti, les dossiers liés à l’immigration sont devenus la mesure première du rapport de l’administration Trump aux droits individuels. « Trump croit fondamentalement que la Constitution s’applique, au mieux, aux citoyens américains, dit le juriste. Or, on assiste à un chœur de décisions judiciaires qui réaffirment les protections constitutionnelles, même pour les sans-papiers, ce qui implique une procédure régulière, l’obligation de communiquer les charges retenues, le droit pour la personne d’être entendue. Cela ne peut s’expédier en vingt-quatre heures. »
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