Entre verlan, yiddish et bambara : les mille langues de Paris qui ont façonné le français

Parce qu’elle concentre la plus large palette linguistique de France, Paris offre un laboratoire de normalisation et de manipulations de la langue. Dans Paris-Babel, Gille Siouffi retrace l’histoire linguistique de la capitale, métissée depuis le Moyen-âge. Collant aux usages réels, à rebours du récit national de monolinguisme, il montre qu’une langue ne se « parle » pas : elle s’invente en permanence. Extraits.

The Conversation   – Quiconque se promène aujourd’hui dans Paris a de fortes chances d’y entendre, au bout de quelques minutes seulement, d’autres langues que le français. Peut-être même que la première langue qu’il ou elle entendra ne sera pas le français. Cuidado con el espacio entre el vagón y el andén, nous dit-on en espagnol si nous prenons le métro. Bientôt, c’est l’anglais dans les grands magasins. Cela est dû en partie à la forte dynamique touristique qui touche la capitale française. Celle-ci accueille environ 40 millions de visiteurs par an – le chiffre le plus important du monde, trente fois plus que ce qu’elle connaissait en 1950. Mais pas seulement. Bien des locuteurs du chinois, de l’italien, de l’arabe, du russe, du bambara que nous pouvons croiser dans Paris habitent bien la ville.

On dira que la chose est aujourd’hui commune, et se retrouve ailleurs en Europe, à Londres ou à Berlin par exemple. La plupart des grandes villes des Amériques – New York, Buenos Aires, Montréal – se sont construites historiquement sur l’apport constant d’une immigration diversifiée. […] La situation de Paris est un peu différente. Dans l’histoire de la France dont la ville a été très tôt capitale, elle a représenté un pôle central. Au Moyen Âge, elle était l’unique ville fortement peuplée. C’est en grande partie là que s’est construit le français, ou du moins la façon jugée la plus correcte de le parler. […]

Toutefois, siège de la standardisation du français, Paris a en réalité été tout au long de son histoire un creuset de langues, d’idiomes, de parlers divers, une véritable Babel. Ce phénomène existait déjà au Moyen Âge, mais n’a fait que se renforcer au fil des siècles.

En raison d’une histoire où la centralisation et le monolinguisme ont joué un grand rôle – « La langue de la République est le français », dit aujourd’hui notre constitution de 1958 –, la France a souvent minimisé ce caractère polyglotte et brassé. […]

Existe-t-il un parisien ?

D’emblée, entre tribus celtes d’origine, Romains, Francs, Vikings… la ville ancienne s’est construite au gré de conquêtes et d’immigrations qui l’ont fortement métissée. Au Moyen Âge, elle parlait deux langues : le latin, longtemps considéré comme seul digne d’être porté à l’écrit, et une parole du quotidien faite d’une multitude d’usages circonstanciels. Peut-on appeler français cette parole ? La question se pose. Ce français s’invente-t-il à Paris ? Y a-t-il quelque chose comme un parisien ? Et jusqu’à quand ?

Au fil du temps, on verra comment l’identité de la ville s’est forgée dans une cartographie de villages (parler de Montmartre, de la place Maubert, de Saint-Ouen, de Sarcelles…), par l’apport des parlers régionaux (gascon, normand, picard…), ou le contact avec des langues comme l’italien (au XVIe siècle), l’anglais (à plusieurs moments de l’histoire), le russe (après 1814, puis après 1917), le polonais, l’allemand, le yiddish, l’espagnol, l’arabe, le chinois…

Aujourd’hui, si un tel chiffre peut avoir du sens, une bonne centaine de langues y sont parlées. Certaines sont très visibles, entendues, parfois apprises. D’autres sont cantonnées dans le secret des familles ou de petits groupes, ignorées de la foule des Parisiens. Il est même vraisemblable que, comme à New York, certaines des langues les plus rares du monde y trouvent certains de leurs derniers locuteurs.

Wesh wesh et Marie-Chantals

Au fil de cette histoire linguistique de Paris, c’est aussi une histoire de ses acteurs qu’on lira, célèbres ou anonymes. C’est à Paris que s’est inventée la notion de « peuple », et on a longtemps prêté au « peuple de Paris » toutes sortes d’usages parfois obscurs, du « jargon de l’argot » au javanais, avant que ses banlieues ne répandent le verlan et le wesh wesh.

Langues des chapitres médiévaux, des crieurs de rue du Moyen Âge, des escholiers rabelaisiens, des précieuses, des poissardesdes halles, des clubs révolutionnaires, des gandins, des snobs, des dandys, des titis, des gavroches, des loubards, des marie-chantals, des branchés, des stylax : ce sont mille français qui se sont entendus dans Paris.

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Professeur en Langue Française, membre de l’Institut Universitaire de France (IUF), Sorbonne Université

 

 

 

Source : The Conversation 

 

 

 

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