États-Unis : les bibliothèques dans la tourmente

The Conversation   – Depuis le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, les bibliothèques, partout aux États-Unis, sont directement prises pour cibles et bon nombre d’entre elles voient leurs budgets mis en péril par la suppression des subventions fédérales. Une attaque en règle conduite à la fois dans le cadre des coupes budgétaires massives, mises en œuvre par le DOGE d’Elon Musk, et au nom de la lutte contre les idées progressistes dont les bibliothèques et leurs responsables sont soupçonnés d’être les porteurs.

On connaît la transformation que traversent depuis plus de quinze ans les bibliothèques publiques britanniques qui n’ont de cesse de réinventer un modèle plus urbain, plus connecté, plus innovant, destiné aux « classes créatives » décrites par Richard Florida habitant les centres-villes (comme à Birmingham, par exemple, où une immense bibliothèque de 31 000 m2 a été inaugurée en 2013), au détriment des bibliothèques rurales ou périphériques et de leurs publics. Celles-ci sont peu à peu délaissées, externalisées ou fermées, car jugées obsolètes au XXIe siècle qu’on fantasme « tout numérique », supposément pour le bien de tous.

Depuis peu, c’est au tour du prestigieux réseau des bibliothèques publiques états-uniennes d’être mis à mal voire en danger. Deux menaces s’abattent sur ce fleuron de la lecture publique occidentale.

Une lame de fond amplifiée par l’action de l’administration Trump 2

Depuis cinq ans environ, les fondamentalistes religieux inspirent de nombreux groupes de parents ou de citoyens qui exercent de plus en plus de pressions sur les bibliothèques locales, scolaires principalement, pour décider des ouvrages que l’on pourra proposer aux (jeunes) publics, comme en témoignent les nombreuses poursuites entamées par le Pen America.

D’année en année, le nombre d’ouvrages interdits (ou bannis puisqu’on parle de « banned books ») augmente. Les sujets interdits s’élargissent. Les professionnels des bibliothèques sont même contestés dans leurs compétences à acquérir et à développer une collection. Certains sont licenciés.

La prestigieuse association professionnelle américaine des bibliothèques, American Library Association (ALA), qui compte près de 50 000 membres, en a fait le sujet principal de son dernier rapport d’activité pour l’année 2024, fournissant une infographie édifiante des ouvrages les plus fréquemment interdits, retirés et bannis dont la palme revient à cet ouvrage de George M. Johnson All Boys Aren’t Blue qui raconte l’itinéraire d’un jeune homme, doublement marginalisé car noir et queer, et son combat pour trouver sa voie et faire porter sa voix.

Ces dernières semaines, un nouvel événement s’est superposé à cette lame de fond. Le Department of Government Efficiency (DOGE, « département de l’efficacité gouvernementale ») dirigé par Elon Musk, instauré par Donald Trump à son retour à la Maison Blanche, n’a eu de cesse de démanteler les agences fédérales. On pourrait établir une chronologie des faits consternants qui s’abattent jour après jour sur la communauté des 9 000 réseaux de bibliothèques des États-Unis, mais en réalité chaque jour amène son lot de gel de subventions, de menaces et de licenciements.

Tout récemment, on vient d’apprendre le licenciement brutal de Carla D. Hayden, la directrice de la bibliothèque du Congrès, qui avait été nommée par le président Obama en 2016. La sidération de la profession est générale, au-delà des seules frontières états-uniennes – et cela, d’autant plus que Trump a nommé à la place de Hayden l’un de ses affidés, son ancien avocat Todd Blanche, qu’il avait déjà nommé procureur général adjoint en mars dernier.

Un article de l’Associated Press, publié sur le site de National Public Radio (NPR), reproduit le texte hallucinant du courriel lapidaire annonçant son licenciement à Carla D. Hayden et évoque les manœuvres de l’American Accountability Foundation, groupe de droite qui, comme le souligne le Guardian, a publié une « liste de surveillance DEI (Diversity, Equity, and Inclusion) », identifiant les agents fédéraux qui « mènent des initiatives radicales en matière de diversité, d’équité et d’inclusion ».

Il n’est pas attesté que le licenciement de Carla D. Hayden soit la conséquence directe de la présence de son nom sur cette liste, mais il est indéniable que ces groupes fondamentalistes de droite instaurent dans le pays une ambiance de chasse aux sorcières qui rappelle l’époque du maccarthysme : les fonctionnaires suspectés de défendre les politiques dites DEI font l’objet de mesures que connaissaient les communistes (ou prétendus tels) des années 1950. D’autres sources, comme The Verge, site web d’actualités technologiques, avancent que ces licenciements seraient liés à la question de l’usage abusif de contenus sous droits par les géants de l’IA : ceux qui s’y opposent sont tout simplement été évincés ! Comme c’est le cas pour la directrice du United States Copyright Office, Shira Perlmutter, licenciée le 10 mai dernier d’après le Washington Post et le Monde.

Un démantèlement brutal

Le 14 mars dernier, la Maison Blanche publie un décret visant « des composantes de l’administration fédérale jugées inutiles par le président ». Parmi les sept agences qui y sont listées se trouve l’Institute of Museum and Library Services (IMLS), créé en 1996, dont la mission affichée sur son site est de « promouvoir, soutenir et donner les moyens d’agir aux musées, bibliothèques et organisations connexes des États-Unis par le biais de subventions, de recherches et de l’élaboration de politiques ».

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Responsable de la mission Prospective à la bibliothèque / DRIS, Sciences Po

 

 

 

 

Source : The Conversation 

 

 

 

 

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