Formés ici, diplômés là-bas : ce que révèle l’exode croissant des étudiants africains (dossier)

Agence Ecofin – Avec un taux d’inscription dans l’enseignement supérieur estimé à 9 %, l’Afrique reste largement en retrait par rapport à la moyenne mondiale de 38 %, selon l’UNESCO. Ce décalage structurel alimente un exode croissant d’étudiants vers l’étranger, que les universités étrangères s’efforcent de capter avec une intensité croissante. 

Un système local sous tension 

Fragilisée par des infrastructures vieillissantes, des grèves à répétition et une spécialisation insuffisante des filières scientifiques, l’université africaine peine à répondre aux attentes du marché du travail. Les amphithéâtres délabrés et les laboratoires démunis de matériels performants limitent l’apprentissage pratique, tandis que les interruptions de cours, parfois longues de plusieurs semaines, retardent la validation des semestres et pénalisent la progression des étudiants.

Les programmes, souvent conçus il y a des décennies, restent déconnectés des besoins actuels des entreprises locales et internationales, qui recherchent des profils maîtrisant les technologies numériques, l’ingénierie de pointe ou la recherche appliquée. Ce décalage creuse l’écart avec les standards mondiaux et accentue la fuite des talents, privant le continent d’une main-d’œuvre qualifiée et freinant son développement économique.

Abebe Aemro Selassie

Dans un discours relayé par l’Agence Ecofin, Abebe Aemro Selassie, directeur du département Afrique du FMI, affirmait que les réformes prennent souvent du retard en raison d’un manque de volonté politique ou de marges budgétaires limitées. À cela s’ajoutent des inégalités géographiques marquées. Dans plusieurs pays, l’enseignement privé reste concentré dans les grandes villes et inaccessible à une majorité.

Les universités étrangères à l’assaut du marché africain   

Face à cette demande croissante de formation de qualité, les établissements étrangers multiplient les stratégies d’attractivité. Le groupe EpicQuest Education collabore avec plus de 60 universités américaines pour recruter sur le continent. D’autres pays comme la Turquie, la France ou le Canada renforcent leur présence via des salons, des bourses (DAAD, Erasmus+) et des accords bilatéraux.

Les filières STIM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques) attirent particulièrement les candidats africains. En 2022, selon l’UNESCO, 452 000 étudiants africains poursuivaient leurs études à l’étranger, en hausse de 21 % en dix ans. Pour le compte de l’année universitaire 2022/2023, 45 162 étudiants marocains étaient inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur en France, représentant 11 % de la totalité des étudiants internationaux, d’après un rapport publié par Campus France.  

Un départ rarement temporaire 

Si certains États exigent un retour post-études pour les boursiers, la réalité est plus contrastée. Selon l’Organisation internationale de la migration (OIM), deux tiers des étudiants africains restent dans les pays d’accueil après une formation, faute de perspectives dans leurs pays d’origine.

Cette fuite des cerveaux a un coût. Les statistiques estiment qu’un étudiant formé à l’étranger coûte entre 30 000 et 50 000 dollars, souvent financés par des familles ou des fonds publics. Des ressources qui profitent in fine aux pays d’accueil.

Pourtant, dans des secteurs critiques comme la santé ou l’ingénierie, l’Afrique accuse une pénurie chronique. En 2022, une étude de l’OMS révélait que le continent comptait en moyenne 1,55 professionnel de santé pour 1000 habitants.  

Quelles stratégies pour retenir les talents ?  

Certains pays africains amorcent des réponses. Par exemple, le Rwanda investit dans le numérique éducatif et des partenariats internationaux Carnegie Mellon Africa. L’Égypte crée des hubs universitaires avec des diplômes conjoints. L’Union africaine soutient les universités panafricaines comme PAULESI sciences et innovation ou PAUWES énergie et eau, dans le but de limiter la dépendance extérieure.

Par ailleurs, des dispositifs d’incitation au retour, de type bourses ou fiscalité avantageuse, ainsi que le développement de doubles diplômes, émergent peu à peu à travers le continent. Mais les résultats restent encore limités.

L’exode universitaire des étudiants africains révèle les insuffisances du système éducatif du continent. Si les États ne parviennent pas à créer un environnement attractif, l’Afrique continuera de former à crédit des compétences pour d’autres marchés.

Pour inverser la tendance, il faudra une vision politique à long terme, un financement stable et une meilleure articulation entre formation et besoins économiques. Si elle est associée, la diaspora pourrait aussi jouer un rôle structurant, à condition d’être mobilisée par des mécanismes collaboratifs et ciblés.

 

 

Félicien Houindo Lokossou (Stagiaire)

 

 

Source : Agence Ecofin – (Le 14 mai 2025)

 

 

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