Mauritanie – Adama Bâ, du terrain du foot à celui de l’agriculture

La DépêcheIl est des trajectoires qui échappent aux grilles binaires du succès et de l’échec, et se laissent lire comme des palimpsestes de civilisation.

Celle d’Adama Ba, footballeur international mauritanien, s’inscrit dans cette catégorie d’itinéraires où le destin individuel se confond avec un récit collectif, discret mais fondamental. Car si le monde l’a connu crampons aux pieds, dribblant sur les pelouses de France et de Turquie, c’est désormais dans le silence aride des terres du Guidimakha qu’il écrit l’acte le plus noble de sa carrière : celui du retour.

Ancien pensionnaire de clubs prestigieux – parmi lesquels Bastia, Auxerre, ou encore le géant turc Göztepe – Adama Ba n’a jamais été un simple athlète de haut niveau. Son style de jeu, fait d’élégance retenue et de déplacements lucides, laissait déjà entrevoir une forme de gravité intérieure, rare dans un univers dominé par la vitesse, l’oubli et la surexposition. Mais ce que beaucoup ont pris pour de la discrétion était déjà le signe d’un attachement profond à autre chose : une terre, une origine, une mémoire.

Après avoir remporté avec le club marocain de la Renaissance Sportive de Berkane le trophée suprême du continent africain, il aurait pu, comme tant d’autres, céder à la tentation du commentaire télévisé, de la reconversion urbaine ou de l’oubli doré. Mais non. Il a choisi de retourner là où tout avait commencé : le Guidimakha. Non pas pour y jouir d’un prestige conquis ailleurs, mais pour y travailler — humblement, concrètement, avec ses mains.

Dans un pays où tant d’anciens héros se contentent de leur propre mythe, Adama Ba est allé au-delà. Il ne cultive pas seulement la terre : il cultive un autre imaginaire mauritanien. Celui d’un retour fécond, d’un enracinement actif, d’une dignité silencieuse. Il rappelle à tous que la souveraineté commence dans l’acte de semer, que le patriotisme véritable ne s’épuise pas dans les drapeaux, mais se traduit dans la capacité à nourrir les siens.

En cela, Adama Ba est bien plus qu’un ancien joueur : il est un modèle éthique. Son geste sans sponsor, est un manifeste. Il appelle, non pas à l’admiration passive, mais à une réorientation de notre politique publique. Car un pays qui ne soutient pas ses héros quand ils deviennent paysans trahit à la fois sa terre et sa mémoire.

L’État mauritanien se doit donc de regarder ce retour non comme une anecdote, mais comme un signal : le mérite n’est pas toujours là où la foule applaudit. Il est parfois dans les marges, dans l’humus, dans l’invisible travail de ceux qui refusent de s’exiler de leur propre sol.
Adama Ba n’a pas pris sa retraite : il a simplement changé de terrain.

 

 

 

Chronique de Mohamed Ould Echriv Echriv

 

 

 

Source : La Dépêche (Mauritanie) – Le 10 mai 2025

 

 

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