A Gaza, bombardée et affamée par le siège israélien, « la population impuissante supporte l’insupportable

Depuis le 2 mars, aucun camion commercial ou humanitaire n’est entré dans l’enclave palestinienne. Les Nations unies estiment que la situation y a atteint son pire niveau depuis le début de la guerre.

Le Monde  – La nuit est tombée sur la ville de Gaza, dans le nord de l’enclave dévastée et assiégée par l’armée israélienne. Le bruit des drones qui menacent et espionnent est constant. Le sommeil s’annonce difficile à trouver. « Nous vivons une pression psychologique, une anxiété permanente, à cause de l’agression en cours et du siège », témoigne, le 29 avril, Zulfiqar Swairjo, un pharmacien qui vit dans le quartier de Tel Al-Hawa, et dont l’officine a été détruite. Comme tous les interlocuteurs, il a été contacté par téléphone : de manière inédite dans l’histoire du conflit israélo-palestinien, les autorités israéliennes refusent l’accès de la bande de Gaza aux journalistes étrangers depuis dix-neuf mois.

Cela fait deux mois que plus rien n’entre dans le territoire supplicié, que ce soit par les canaux commerciaux ou humanitaires : ni nourriture, ni médicaments, ni carburant. Les autorités israéliennes ont imposé un blocus, le 2 mars. Seize jours plus tard, elles brisaient le cessez-le-feu avec le Hamas qui était entré en vigueur le 19 janvier. « Aucune aide n’entrera à Gaza », a réitéré, à la mi-avril, le ministre de la défense israélien, Israël Katz.

L’asphyxie et les frappes, précédées par seize mois de guerre sans limites lancée par Israël en représailles à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, ont épuisé la population civile. « Je suis fatiguée. La peur et les bombardements nous privent de sommeil », témoigne Chaïma, une habitante de Beit Lahya, dans le Nord. Le son d’une explosion retentit derrière sa voix, dans un message vocal qu’elle fait parvenir au Monde. Le sentiment de danger est permanent. « On ne vit pas, on survit », corrige Ziad Medoukh, un professeur d’université qui s’exprime de la ville de Gaza.

Alimentation rudimentaire

Les privations imposées par le siège ne permettent qu’une alimentation rudimentaire : du riz, des pâtes, des boîtes de conserve dont les habitants redoutent qu’elles soient avariées. Quelques rares légumes, pour les plus fortunés. Le prix de la nourriture a grimpé de 1 400 %, selon les Nations unies. Et, dans le même temps, les ressources ont fondu. « J’essaie de donner des cours d’arabe en ligne pour pouvoir nourrir ma famille », explique Chaïma.

Les Gazaouis font un seul repas par jour. Certains tiennent sur les réserves qu’ils ont constituées pendant la trêve, comme le journaliste Abdel Hadi Okal, père de sept enfants, qui se trouve dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de Gaza. « Mais jusqu’à quand les provisions suffiront-elles ? », s’inquiète-t-il. Il redoute de vivre la « famine des mois qui ont précédé le cessez-le-feu : [il a] alors perdu 20 kilos. [S]es enfants ont tous eu la jaunisse [une maladie dont la sous-alimentation est l’une des causes] ».

D’autres, les plus démunis, tentent de se ravitailler aux cuisines collectives. Dans la ville de Gaza, ces lieux avaient offert un bref répit durant le cessez-le-feu, après de lourdes pénuries. « Plus d’une centaine de cuisines collectives ont vu le jour après la trêve. Il n’y en a plus qu’une dizaine, et elles sont condamnées à fermer rapidement, faute de réserves », déplore Ziad Medoukh.

Gaza est « un enfer »

Le Programme d’aide alimentaire mondial des Nations unies a annoncé, le 25 avril, qu’il avait « épuisé tous ses stocks ». Pour nombre de Gazaouis, les journées se résument à chercher de la nourriture, du bois pour cuisiner en l’absence de gaz, de l’eau. « L’attente est longue pour remplir les bidons d’eau. Mes enfants font la queue. C’est une très grande souffrance », dit Abdel Hadi Okal.

Les Nations unies ont averti que la situation à Gaza avait atteint son pire niveau depuis le début de la guerre. « Israël semble infliger aux Palestiniens à Gaza des conditions de vie de plus en plus incompatibles avec leur existence continue en tant que groupe à Gaza, a alerté mardi 29 avril Volker Türk, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Tout recours à la famine contre la population civile en tant que méthode de guerre constitue un crime de guerre, de même que toute forme de punition collective. »

Gaza est un « enfer », résume, lapidaire, Zulfiqar Swairjo. La situation est si grave que des vols sont commis « pour manger ». La menace de mourir semble provenir de partout : des bombes, « de la faim, de la maladie. Il n’y a plus de services médicaux ». Le système de santé a été délibérément détruit par l’armée israélienne, selon les Nations unies. Il faut subir la puanteur des ordures qui ne sont pas ramassées et des eaux sales qui stagnent car le réseau d’épuration a été détruit par les frappes israéliennes, et leur corollaire, les nuées d’insectes. Le pharmacien a une hantise : s’effondrer, et ne plus pouvoir prendre soin de sa femme et de ses quatre filles.

Sentiment terrible d’abandon

Et puis rode ce sentiment terrible d’abandon. « La communauté internationale a disparu », considère M. Swairjo, accusant cette dernière de laisser des « Palestiniens innocents » être tués dans ce qu’il qualifie d’un « holocauste ». « Le monde ne semble pas dérangé qu’il y ait 50 morts par jour dans les bombardements », insiste-t-il. Pour la seule période du 22 au 30 avril, 437 personnes ont été tuées, selon le ministère de la santé local, plus de 2 200 depuis la rupture de la trêve et plus de 52 000 depuis octobre 2023.

« On entend ici et là des déclarations ou des condamnations, mais on ne voit aucune véritable pression pour mettre fin au blocus de Gaza, renchérit Ziad Medoukh. Ni des Nations unies, ni des pays occidentaux, ni de voisins comme l’Egypte et la Jordanie. » Le professeur de français, dont plus de 50 membres de la famille élargie ont été tués depuis le début de la guerre, note qu’il n’y a « plus de déplacements de civils d’une ville à l’autre. Les Gazaouis ont compris que c’est difficile et inutile. Ils préfèrent rester près de chez eux, malgré les ruines ». Aucune zone n’est protégée des bombardements.

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et  (Beyrouth, correspondance)

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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