
L’affaire du déterrement du corps d’un défunt chrétien à Selibaby restera longtemps gravée dans les mémoires. Non seulement pour la cruauté de l’acte, mais aussi pour la manière dont le maire de la ville, Oumar Hamady BA dit Ama, a tenté, parfois seul, d’éviter ce drame. Face aux pressions religieuses et à l’inaction des autorités sécuritaires, le maire a fait preuve de sang-froid, de responsabilité et d’un courage remarquable.
Tout commence le vendredi 4 avril 2025 lorsque les imams de la ville de Selibaby déposent une lettre un peu confuse et peu conforme aux normes administratives au secrétariat de la mairie de Selibabi, demandant au maire de retirer du plus grand cimetière de Selibaby le corps d’un défunt chrétien enterré quelques jours plus tôt (le soir du mercredi 2 avril 2025). En bon républicain, Ama ne rejette pas leur demande mais leur explique que cela n’était pas de ses prérogatives et que la procédure doit suivre les voies administratives. Il transmet donc la lettre au préfet, leur demandant de patienter pendant que l’État traite la question.
Mais trois jours plus tard, la tension monte. Des prêches incendiaires sur What’s up enflamment les esprits et une foule fanatisée se masse devant la Wilaya le lundi 7 avril 2025. Les autorités administratives et sécuritaires, pourtant alertées, brillent par leur laxisme. Le gouverneur, le directeur régional de la Sûreté Nationale, le commandant de la Compagnie Régionale de la Gendarmerie Nationale et le commandant du Groupement Régional de la Garde Nationale de la wilaya du Guidimakha, jugés responsables de cette passivité, seront relevés de leurs fonctions dans la foulée, au lendemain de l’exhumation du corps, le 8 avril 2025.
Le maire Ama BA, lui, apprend que la foule se dirige vers le cimetière. Il s’y rend précipitamment. Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux montre un homme habituellement calme, cette fois furieux, debout, faisant face à une foule enragée. Il s’emporte contre certains imams qui, malgré leur promesse de retenue, ont laissé faire. Il tente encore une fois d’apaiser les tensions, en proposant une solution humaine : raser la tombe en question, casser le mur du cimetière et le reconstruire en déplaçant sa limite pour laisser le corps en paix, même hors du cimetière.
Mais ses efforts sont vains. La foule finit par déterrer le corps et le traîner dans les rues de la ville le 7 avril 2024, dans une scène qui choque jusqu’au-delà des frontières mauritaniennes. C’est la police qui réussira à récupéré le corps dans un grand désordre. Ensuite les policiers ont mis le corps dans leur pick-up jusqu’à la sortie de la ville accompagnée de la foule, motards, piétons, femmes et enfants. A Kaadiel Saakoudji, le cortège s’est arrêté pour chercher une solution. Les jeunes avaient de l’essence et voulaient qu’on les laisse brûler le corps. Ils ont mis en garde contre tout enterrement dans les alentours de la ville car cette place pourrait être utilisée par les chrétiens comme un lieu de culte.
Les policiers ne voulaient pas continuer au-delà de la limite de la ville. Il a fallu que le maire Ama, sur demande du Hakem, leur mette à disposition un tricycle pour transporter le corps hors de la ville du côté sud, derrière les collines.
Toute l’opération d’enterrement a été faite par les deux conducteurs du tricycle de la mairie sous les yeux du Hakem et des forces de sécurité (policiers, gendarmes et gardes).
Dans cette tragédie, la gestion du maire Ama a été saluée par une large partie de l’opinion publique. Là où beaucoup se seraient tus ou se seraient inclinés devant la pression populaire, il a tenu bon. Son attitude ferme mais respectueuse, sa volonté de préserver la dignité humaine même en cas de désaccord religieux, et sa lucidité dans une situation explosive ont marqué les esprits.
Cet épisode a mis à nu les failles des autorités locales, mais il a aussi montré qu’en Mauritanie, il existe encore des responsables qui, dans la tempête, savent se tenir debout, seuls s’il le faut, du côté de l’humanité.
Ibrahima Samba DIOUM
Professeur d’économie-gestion
Académie de Paris
(Reçu à Kassataya.com le 12 avril 2025)
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