Sénégal : comment des officines vendent au prix fort des rendez-vous pour demander un visa pour la France

Alors que VFS Global, le prestataire indien de l’ambassade de France à Dakar, propose des créneaux au compte-goutte, de nombreux intermédiaires se targuent de pouvoir aider les voyageurs à obtenir des rendez-vous moyennant une forte somme d’argent.

Le Monde – Dans le quartier de Ouakam, à Dakar, chaque matin se ressemble au pied de l’immeuble où sont installés les bureaux de VFS Global, une entreprise indienne chargée d’enregistrer les demandes de visa pour le compte de plusieurs ambassades au Sénégal, dont celles de la France, des Pays-Bas et de la Norvège. Dès 8 heures, une foule compacte se presse devant les barrières qui filtrent l’entrée. Ndèye Fatou Sène, son dossier sous le bras, a fait le déplacement depuis Kaolack, à 180 km au sud-est de la capitale – soit un peu plus de trois heures de route –, pour honorer son premier rendez-vous afin de déposer une demande de visa court séjour pour la France.

« Il y a une telle difficulté pour décrocher ce rendez-vous que personne ne veut être en retard », explique cette enseignante du secondaire. Après plusieurs mois de recherche, en vain, sur le site de VFS Global – censé proposer des créneaux –, la quinquagénaire dit avoir versé 100 000 francs CFA (152 euros) à un intermédiaire. Juste à côté d’elle, Moussa, qui préfère témoigner de façon anonyme, acquiesce : « J’ai déboursé 50 000 francs CFA, c’était moins cher parce que l’intermédiaire est un ami de la famille. »

Selon la procédure officielle, pour déposer un dossier de demande de visa pour la France, il est nécessaire de prendre rendez-vous via la plateforme en ligne du centre VFS Global de Dakar, prestataire de l’ambassade de France depuis 2014. L’entreprise est chargée de recevoir les demandes de visa, d’effectuer les recueils biométriques, de renseigner les demandeurs et de leur remettre leur passeport après décision du consulat général de France. En 2024, 53 000 dossiers ont été traités au Sénégal, dont deux tiers de visas « court séjour Schengen ».

Selon le projet du voyage, les autorités consulaires proposent, via le site de VFS Global, 18 types de visa, parmi lesquels « court ou long séjour conjoint », « étudiant », « professionnel », « motif médical et accompagnant » ou « renouvellement ». Si des créneaux sont quotidiennement proposés pour ces différentes motivations, c’est loin d’être le cas pour une « première demande de visa Schengen ».

Pour Souleymane Diop, le même message s’affiche depuis qu’il a commencé sa démarche, le 15 décembre 2024 : « Désolé, mais aucune place de rendez-vous n’est actuellement disponible. Veuillez réessayer plus tard. » « J’ai tout essayé », se désole le commerçant, qui voudrait aller en France pour assister au mariage d’un proche en juin. « Je me connecte chaque jour à des heures différentes, mais rien n’y fait », poursuit le trentenaire, agacé, assurant qu’il s’apprête lui aussi à débourser près de 150 000 francs CFA auprès d’un intermédiaire pour obtenir un créneau. Soit dix fois plus que les 15 000 francs CFA réclamés par VFS Global lors de l’inscription pour « frais de service » (16 300 francs CFA avec le supplément « numérisation des documents »). Une somme à laquelle il faut ajouter les 52 000 francs CFA (80 euros) de frais de dossiers requis par l’administration française.

Zone grise

Alors, qui sont ces intermédiaires ? Sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, de nombreux comptes se targuent de pouvoir aider les voyageurs à obtenir des rendez-vous. Le 31 janvier, un compte nommé @rendezvousshengen annonçait par exemple l’ouverture des rendez-vous pour le mois d’avril, capture d’écran à l’appui, le tout sur la bande-son de la publicité de la compagnie aérienne Air France, « France is in the air ».

Nombre de ces comptes sont rattachés à des officines qui se présentent comme des agences de voyage, opérant dans une zone grise entre légalité et illégalité. Joint par Le Monde, un interlocuteur dont le numéro de téléphone se trouvait sur internet assure : « Pour le mois d’avril, il y a déjà eu des créneaux ouverts, mais on en attend encore d’autres. Les rendez-vous sont ouverts au compte-goutte, de façon aléatoire, il faut être patient. » L’homme au bout du fil réclame une copie du passeport en amont (les rendez-vous étant nominatifs) et le paiement de 100 000 francs CFA une fois le rendez-vous pris.

Certains de ces centres opèrent à quelques mètres de VFS Global, sur le même trottoir. « Nous avons des équipes qui se relaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour actualiser le site VFS », renseigne un manageur arborant le polo bleu de la société, laquelle promet « rendez-vous et remplissage visa Schengen » pour 50 000 francs CFA.

Selon les informations du Monde, si les autorités consulaires définissent bien le nombre de rendez-vous disponibles par catégorie sur validation du ministère de l’intérieur, le système de mise en ligne des créneaux est la prérogative de VFS Global. Contactées, ni la direction du centre de Dakar, ni la centrale de l’entreprise indienne, n’ont répondu à nos sollicitations. « La catégorie “première demande” est celle qui dispose du moins de rendez-vous, car ils passent après tous les autres, avance Nicolas Soyere, conseiller des Français de l’étranger à Dakar. Que se passerait-il si on ouvrait les créneaux sans limitation ? On aurait sans doute des dizaines de milliers de dossiers qu’on ne serait pas en mesure de traiter. »

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 (Dakar, correspondance)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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