Ceux qui déterrent les morts pour croire au ciel / Par Tijane BAL

A la différence des protagonistes du poème, ce sont ici les mêmes. Et pourtant, les deux devraient s’exclure irrémédiablement. Qui croit réellement au ciel, en Dieu dit-on plus couramment dans certains pays, ne peut bafouer les morts, profaner leurs sépultures, attenter à leur dignité. De surcroît, dans une allégresse que seule la morbidité peut expliquer mais que rien ne peut justifier. Surtout pas l’appartenance supposée du défunt à une religion différente. Le fait devrait être vécu comme une insulte aux vivants. Le «spectacle » est si horrible qu’on a spontanément du mal à y croire. On se consolerait presque à l’idée que ce pourrait être un fake. Certes, morbide mais un fake. Il semble que non.

Alors, place à l’horreur et aux fauteurs de haine, visiblement oublieux du verset du coran proclamant : à chacun sa religion. Dans la société haalpulaar que je connaîs le moins mal, on s’en tient souvent à la formule « wonti maaydo » (il est à présent mort) pour insinuer les méfaits d’un disparu. Il est rare d’aller au-delà. De même, pour contenir tout débordement visant un défunt qui fut lourdement « fautif », on s’en tient à un sobre que Dieu lui accorde le traitement qu’il mérite (yo Allah hokkumo ko haandi). Tout est dit sans que rien ne soit explicité.

Il est à parier que ces formules « édulcorantes » existent dans toutes les communautés de Mauritanie puisque c’est de ce pays qu’il s’agit. Alors, traîner un corps ! Le respect dû aux morts, parce que morts, est l’une des rares valeurs fédératrices de « notre » société. Qu’est-ce qui, par conséquent, a pu rendre possible, une semblable orgie haineuse ? Dans un pays officiellement musulman de surcroît ? Le désoeuvrement ? Une religiosité virant au dérivatif ? Une intolérance d’ambiance fonctionnant comme un bruit de fond permanent ? Un vocabulaire « autoréférentiel » à l’excès au point de substituer dans le langage courant non musulman (au mieux) à l’appartenance religieuse réelle de la personne ? Ko keefeero, disent souvent les haalpulaaren. Si seulement, on faisait l’archéologie du mot « cafre », y compris en reprenant son usage sous l’apartheid, on mesurerait son usage à géométrie variable.

Léopold Senghor a dit des racistes que ce sont des gens qui se trompent de colère. Les fanatiques aussi. Il est probable que s’ils avaient eu une existence plus conforme à leurs attentes, « nos » profanateurs draineraient davantage leur excès d’agressivité vers les lieux de sport que les cimetières.

Faute, vraisemblablement, d’avoir ce qu’ils attendent, ils jouent paradoxalement à Dieu et, à leur façon, rendent le « jugement dernier » et condamnent un mort à un enfer symbolique en usant d’une barbarie, elle, réelle.

Je ne pardonnerai pas jusqu’au jugement dernier, disaient les adolescents entre eux. Pour eux, il n’y avait pas de doute. Le Jugement dernier n’était pas rendu par les hommes et pas sur terre. Certains adultes bornés semblent l’avoir oublié.

 

 

 

Tijane BAL pour Kassataya.com

 

 

 

 

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