Petit écrit pour se débarrasser de la mentalité féodale / Par Souleymane Sidibé

Ce petit écrit, qui n’a pas vocation à être un pamphlet ni une critique acerbe, cherche simplement à ouvrir un espace de réflexion sur les obstacles qui entravent l’épanouissement de la culture citoyenne.

Dans cette perspective, posons quelques questions essentielles : pourquoi répétons-nous sans cesse les mêmes erreurs à travers les générations ? Pourquoi tant de personnes se retrouvent-elles prisonnières de schémas mentaux qu’elles n’ont pas choisis ? Comment expliquer la persistance des stratifications traditionnelles malgré les profondes mutations intervenues au sein des sociétés africaines ?

La réponse à ces questions réside dans les premières années de la vie, au cœur de l’enfance. Dès les premières étapes de la vie, un formatage subtil se met en place, dictant ce qui est acceptable, ce qui doit être tu, et ce qui doit être craint.

Le conditionnement social, issu d’un héritage féodal, bien que souvent invisible, continue de brider l’imaginaire et d’entraver l’émancipation de l’individu. Par « mentalité féodale », nous entendons une hiérarchie rigide où certaines classes ou groupes sont condamnés à rester dans une position subordonnée, perpétuant ainsi les inégalités et les privilèges lies à la naissance de génération en génération.

Ainsi, il est désormais crucial de mettre en lumière ces mécanismes et de s’en affranchir.

L’enfance : un terrain de conditionnement

L’enfance joue un rôle déterminant dans le façonnement de notre rapport au monde. Les premières années sont particulièrement cruciales, car elles établissent les fondements de notre compréhension et de notre relation avec la société. Un enfant ne peut grandir harmonieusement dans un climat de peur ou d’isolement. Il a besoin de sécurité, de confiance et de protection pour développer une identité stable.

De plus, l’enfant apprend par le jeu, par l’erreur et par la curiosité. Cependant, si ce processus lui est enlevé, l’adulte qu’il deviendra sera hésitant et incapable de prendre des initiatives. Le manque d’expression personnelle et la quête constante de validation sont des dimensions cruciales du développement de l’enfant. Ces facteurs, associés à un climat où le respect strict des codes culturels et l’obéissance prime, empêchent l’individu de se libérer des attentes sociales et d’acquérir une confiance authentique en ses propres capacités.

L’impact du manque d’expression et la quête de validation

Le manque d’expression et la quête incessante de validation sont des aspects essentiels du développement. Un enfant qui ne peut pas s’exprimer librement apprend à se taire, à se conformer sans questionner. Ainsi, plus tard, il confondra respect et soumission. Ces aspects fondamentaux de l’enfance sont souvent négligés dans un cadre social trop rigide, où l’on façonne l’enfant pour qu’il corresponde à un modèle figé, au lieu de lui permettre de s’épanouir et d’explorer son potentiel unique.

Les différentes dimensions du développement

Au fil du développement de l’enfant, plusieurs dimensions sont en jeu : cognitive, émotionnelle, sociale et psychomotrice. L’acquisition du langage, la construction de la mémoire, le développement de l’empathie ou encore la régulation des émotions sont tous des éléments primordiaux. L’enfant apprend à comprendre et à exprimer ses émotions, à établir des liens avec les autres et à s’adapter à son environnement. Néanmoins, lorsque ces processus sont bloqués par des attentes imposées, l’enfant grandit dans une forme d’inhibition, une incapacité à penser librement ou à exprimer ses véritables besoins.

L’environnement social et ses impacts

Le rôle crucial de l’enfance dans le développement de l’individu se poursuit à travers l’environnement social dans lequel il évolue. C’est là que les apprentissages sociaux prennent forme, et où l’impact des structures sociales, souvent invisibles, peut se révéler. Que ce soit au sein de la famille, à l’école ou à travers les interactions sociales, un climat d’épanouissement est essentiel pour que l’enfant puisse pleinement se développer. En revanche, la négligence ou le manque de soutien peuvent engendrer des troubles, comme des difficultés d’apprentissage ou de comportement, qui se répercuteront à l’âge adulte.

Les sept piliers du conditionnement social

Dès ses premières interactions, l’enfant est modelé selon sept principes rigides :

1. L’autoritarisme parental, où on lui apprend que l’obéissance prime sur la compréhension ;

2. La reproduction des rôles sociaux, où il doit correspondre aux attentes imposées par son genre, son milieu et sa culture ;

3. La peur et la culpabilisation, où la crainte du rejet et du jugement devient un outil de contrôle efficace ;

4. Le conformisme social, où toute tentative de différenciation est perçue comme une menace ;

5. La quête permanente de validation, qui pousse à rechercher l’approbation plutôt que l’autonomie ;

6. L’idéalisation de la soumission à l’ordre établi, présentée comme un chemin vers la stabilité et la reconnaissance ;

7. L’intériorisation des inégalités, qui empêche toute remise en question des privilèges et des oppressions existantes.

 

L’illusion de la liberté à l’âge adulte

En somme, on croit devenir adulte en gagnant en liberté. Or, en réalité, beaucoup arrivent à l’âge adulte avec un bagage invisible mais lourd : un manque criant de confiance en soi, une soumission chronique aux structures dominantes, et des relations biaisées par la hiérarchie. Éduqué à chercher validation et approbation, l’individu n’ose pas prendre d’initiatives. Habitué à l’obéissance, il accepte sans broncher des règles absurdes. Oscillant entre autorité abusive et soumission excessive, il est incapable de se positionner sur un pied d’égalité.

L’âge adulte et le statu quo

Que dire d’un enfant qui grandit dans un contexte où l’esclavage persiste sous des formes modernes ? Où l’assignation sociale détermine les rapports entre individus, et où les structures économiques perpétuent les inégalités ? La vraie libération ne peut advenir sans des transformations économiques profondes permettant aux anciens esclaves et à leurs descendants de se reconstruire sur un pied d’égalité. En ce sens, Mohamed Abid, plus connu sous le nom de Med Hondo, affirme avec justesse : « L’esclavage, c’est surtout une aliénation économique. Il faudrait de réelles étapes de libération avec des dispositifs économiques. »

La stratification sociale et l’héritage féodal

Pour Mamoudou Baidy Gaye dit Alia, journaliste et militant, dans nos sociétés, cette stratification sociale, ou classification de la société mauritanienne, principalement peule, à l’image des autres, est similaire à celle de l’Inde. Là-bas, le poids de la tradition semble plus lourd que notre héritage islamique, influençant profondément les rapports sociaux et perpétuant des divisions qui, bien que distinctes, partagent un fondement commun : la hiérarchie sociale. Ce phénomène renforce les inégalités sociales et maintient des structures de pouvoir archaïques, limitant les possibilités d’émancipation individuelle et collective. Les modèles traditionnels, enracinés dans l’histoire, continuent de façonner nos comportements et notre manière de penser, malgré les tentatives d’ouverture à une société plus égalitaire et moderne.

L’analyse de Boulaye Diakité : Le poids de la stratification sociale

Pour Boulaye Diakité, socio-anthropologue, tout ce système repose sur un non-sens. Ce qu’il exprime dans son parcours personnel illustre de façon saisissante l’effet de ces conditionnements dès l’enfance.Il s’agit d’une brutalisation de l’individu, imposée dès son plus jeune âge, souvent dans des familles dites maraboutiques. Dès l’école, l’enfant est contraint à assumer des rôles imposés, comme celui de diriger la prière, indépendamment de ses préférences ou de ses désirs. Boulaye raconte son propre vécu, où étant dans une famille maraboutique, il se voyait forcé de prendre des responsabilités sans qu’il ait été préparé ou qu’il ait choisi cela. Cette pression le frustrait, notamment quand on lui faisait remarquer qu’il devait diriger la prière, laissant de côté quelqu’un qu’on considérait de statut social inférieur. Cela renvoie à un « construit social » qu’il compare à une arnaque qui engendre une hiérarchisation rigide et injustifiée de l’individu.

Témoignage anonyme

De son côté, celle que l’on va appeler « Madame X », une jeune femme issue d’une communauté marginalisée, témoigne de la manière dont l’intériorisation des inégalités l’a freinée dans son parcours. Depuis l’enfance, elle a été conditionnée à croire qu’elle ne pouvait prétendre à certaines ambitions, car son ascendance la prédestinait aux tâches subalternes. « J’ai dû me battre contre ma propre peur de réussir », confie-t-elle. Grâce à l’éducation et au soutien de mentors engagés, elle a pu déconstruire ces idées reçues et s’affirmer. Mais elle insiste : « Sans un changement collectif, les barrières psychologiques et sociales restent insurmontables pour la majorité. » Elle, tout comme Boulaye, appelle, ou comme Mamoudou Baidy Gaye, à une prise de conscience collective pour éradiquer ces divisions et réformer la société. Il met en avant la nécessité d’une émancipation de ces structures sociales oppressives et encourage les sociétés, qu’elles soient soninké, mauritanienne ou ouest-africaine, à se débarrasser de ces tares sociales profondément ancrées.

Le mot de Dr Khadija Gning :

Pour Dr. Khadija Gning, experte en Environnement, Développement, Territoires et Sociétés, « Le système des castes est une limite pour l’équité dans nos sociétés africaines. Déconstruire les mentalités est un préalable et un impératif aujourd’hui pour aspirer au développement et à une société plus équitable. » Elle souligne que l’existence de ces structures sociales rigides, fondées sur des hiérarchies injustifiées, bloque toute possibilité de progrès véritable, car elles empêchent une pleine égalité des chances. Pour Khadija, il est crucial de repenser notre rapport aux origines sociales et de combattre les discriminations liées aux hiérarchies ancestrales, non seulement sur le plan individuel, mais aussi au niveau des politiques publiques, de l’éducation et de la sensibilisation collective. Une société plus juste passe par la déconstruction de ces mentalités pour laisser place à une société inclusive et respectueuse de la dignité humaine.

Se débarrasser et déconstruire la mentalité féodale et esclavagiste : quelles solutions ?

1. Réformes éducatives profondes : L’école doit jouer un rôle clé en offrant des enseignements critiques sur l’histoire de l’esclavage, des inégalités sociales et des mécanismes de domination. Ces enseignements ne doivent pas se limiter à des faits historiques, mais aussi interroger les héritages sociaux et les normes culturelles qui perdurent encore aujourd’hui. En intégrant ces réflexions dans le programme scolaire, nous préparons une génération plus consciente des injustices passées et capables de les combattre activement.

2. Autonomisation économique : Créer des opportunités d’emploi et de formation pour les groupes marginalisés afin de briser le cercle vicieux de la dépendance économique et de l’assujettissement.

3. Modernisation du cadre juridique : Renforcer l’application des lois anti-esclavagistes et criminaliser les discriminations fondées sur l’origine sociale ou ethnique.

4. Déconstruction des normes sociales : Promouvoir des récits alternatifs qui valorisent l’émancipation individuelle et collective plutôt que la soumission aux héritages sociaux obsolètes.

5. Mobilisation citoyenne et médiatique : Multiplier les initiatives locales, associatives et médiatiques pour dénoncer et combattre les structures sociales oppressives.

 

Vers une prise de conscience et une émancipation

Pour ne pas conclure, l’heure n’est plus à l’indifférence sociale : chacun de nous, en remettant en question les structures et les héritages qui nous conditionnent, participe à une révolution silencieuse. Le changement passe par des actes individuels, mais aussi collectifs, pour que les générations futures puissent enfin s’émanciper du fardeau d’un passé trop lourd. Il est temps d’agir, non seulement pour nous, mais aussi pour les générations à venir.

 

 

Souleymane Sidibé

 

 

 

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