« L’Europe finira par être chassée de Mauritanie » : entretien avec le député abolitionniste Biram Dah Abeid

Député et militant abolitionniste, Biram Dah Abeid revient sur l’accord de partenariat migratoire conclu il y a un an entre l’Union européenne et Nouakchott.

L’Humanité – Le 7 mars 2024, l’Union européenne (UE) et la Mauritanie ont conclu un accord de partenariat migratoire d’un montant de 210 millions d’euros. Parmi ses objectifs officiels figurent la prévention de la migration irrégulière, le soutien à l’emploi, le renforcement des frontières et la protection des réfugiés. Avec Biram Dah Abeid, militant engagé depuis cinquante ans dans la lutte contre l’esclavage en Mauritanie, président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) et député, l’Humanité dresse le bilan de cette première année de partenariat en analysant la situation des droits humains dans le pays.

Un an après les promesses du partenariat migratoire conclu entre la Mauritanie et l’UE, qu’est-ce qui a changé dans votre pays ?

Ce partenariat n’a eu aucun impact perceptible pour les citoyens mauritaniens. Ce n’est qu’une mascarade. L’Europe fournit des fonds, mais l’argent finit dans les poches des corrompus qui dirigent le pays. Ce n’est pas un hasard si la Mauritanie figure parmi les pays ayant les pires records en matière de corruption, de mauvaise gouvernance, de détournement de fonds publics et de blanchiment d’argent (selon Transparency International, elle occupe la 130e place sur 180 pays – NDLR).

Et, depuis la signature de cet accord, il y a une hémorragie de jeunes partis en Amérique et en Europe par des voies d’immigration non légales. Donc, le désastre de l’immigration, avec ses corollaires de morts, ça continue. De plus, les migrants africains subsahariens subissent des traitements terribles en Mauritanie. L’argent européen n’est en aucun cas utilisé pour les aider.

Y a-t-il eu des conséquences aussi sur les haratines (ou « Maures noirs », arabophones, descendants de personnes réduites en esclavage) et les Afro-Mauritaniens (de langue et d’ethnie peule, soninké, wolof, bambara) ?

Oui, bien sûr. Les haratines et les Afro-Mauritaniens sont les plus touchés par la pauvreté, l’exclusion et la marginalisation. Ils tentent aussi de sortir de l’enfer qu’est la Mauritanie. Et ce partenariat n’est pas en leur faveur. La Mauritanie est pour eux une prison, et l’Europe, qui devrait accueillir et protéger les victimes de discrimination, de racisme, de violence, de torture, de génocide et d’esclavage, semble vouloir les y maintenir enfermés.

Comment la société civile mauritanienne a-t-elle réagi au partenariat migratoire ?

Le peuple mauritanien a été extrêmement hostile à ce partenariat parce qu’il considère que c’est une forme de corruption, de mercenariat. Ils ont dit que l’Europe n’a pas le droit de placer ses gardes civils (la Guardia Civil espagnole – NDLR) qui patrouillent sur les côtes et les territoires mauritaniens. Les Mauritaniens sont très en colère, et je pense que si ces types d’accord continuent entre l’UE et le gouvernement actuel, l’Europe finira par être chassée de Mauritanie, tout comme elle l’a été du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

Quelle est la situation des libertés en Mauritanie ?

C’est un tableau noir. La liberté d’expression a été totalement confisquée depuis l’arrivée au pouvoir de Mohamed Ghazouani, le président est un allié bien vu par l’Europe (élu en 2019 et réélu en juillet 2024 – NDLR). Il a promulgué la loi n°2021-021 portant protection des symboles nationaux, qui est devenue une arme pour fermer toutes les chaînes de télévision et radios indépendantes, ainsi que pour emprisonner des journalistes, des blogueurs et même des députés. Les médias officiels d’État sont interdits aux opposants. En Mauritanie, rares sont ceux qui osent s’exprimer, et ceux qui le font doivent faire preuve d’une extrême prudence. Il n’y a pas de liberté d’association, car les partis d’opposition les plus forts et les mouvements critiques envers le gouvernement sont fortement entravés dans leurs actions politiques.

Nadia Addezio

Source : L’Humanité (France) – Le 25 mars 2025

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