Au Burkina Faso, les Peuls face au poison de la vengeance : « Enfants, femmes, vieillards… Tout le monde y passe »

De nouvelles images d’exactions, commises mi-mars dans l’ouest du pays, ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Les massacres visant les membres de cette communauté, victime d’un amalgame meurtrier avec les djihadistes depuis plusieurs années, se multiplient

Le Monde – Les vidéos macabres se sont propagées à toute vitesse sur les réseaux sociaux. Sur ces images, tournées les 10 et 11 mars près de Solenzo, dans l’ouest du Burkina Faso, des cadavres ensanglantés entassés dans la benne d’un triporteur ou des femmes menacées de mort par des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils de l’armée, sous les yeux effrayés de leurs enfants. « Vous les Peuls, vous voulez prendre notre [pays]. Vous n’y arriverez jamais », lance l’un des tueurs à ses victimes.

Durant ces deux jours, près d’une centaine de civils, tous membres de cette communauté, ont été tués, selon différentes sources locales et sécuritaires. Niant tout massacre, le gouvernement a indiqué, dans un communiqué diffusé le 22 mars, « déplorer la persistance d’individus mal intentionnés, qui s’activent actuellement au montage de vidéos mensongères tendant à accréditer la thèse surannée de massacres ethniques au Burkina Faso ».

« Ils préfèrent dénoncer un complot plutôt que de reconnaître cette tuerie. Ils poursuivent ceux qui relaient l’information plutôt que ceux qui ont massacré des innocents. C’est une façon de donner carte blanche à ceux qui tuent des Peuls », dénonce une activiste qui a requis l’anonymat.

Cette rare communication gouvernementale laisse toutefois poindre un malaise autour des exactions commises par l’armée et ses supplétifs. Au Burkina Faso comme ailleurs au Sahel, les Peuls, communauté traditionnellement nomade et régulièrement stigmatisée, subissent un amalgame avec les groupes djihadistes, dont ils ont grossi les rangs depuis une décennie, sensibles pour partie aux appels de certains de ses membres devenus des figures du djihad sahélien, tels le Malien Amadou Kouffa ou le Burkinabé Jafar Dicko.

« Nous allons vers une guerre ethnique »

La confusion est particulièrement perceptible au Burkina Faso. A partir de 2015, alors qu’il tente de tourner la page de près de trois décennies de pouvoir autocratique du président Blaise Compaoré, le pays est attaqué par les groupes djihadistes venus du Mali voisin. Des pans entiers du territoire échappent rapidement à l’autorité de l’Etat.

Malgré le risque d’un basculement dans un conflit ethnique, le nouveau chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, s’appuie sur les groupes d’autodéfense Koglweogo, à majorité mossi, l’une des principales communautés du pays, puis instaure les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) pour tenter d’endiguer la progression des djihadistes.

Peine perdue. Le poison de la vengeance se diffuse. Les djihadistes ciblent les VDP et les militaires, qui s’en prennent indistinctement aux Peuls, dont certains rejoignent ou soutiennent les djihadistes. Un cycle mortifère se met en place, le nombre de morts, notamment Peuls, ne fait que croître. « Plus il y a d’exactions, plus les groupes djihadistes se renforcent en recrutant des rescapés. Si cela continue, nous allons vers une guerre ethnique », s’inquiète une figure de la société civile.

« Les VDP et les BIR presque incontrôlables »

L’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré par un coup d’Etat, en octobre 2022, ne va qu’accentuer le phénomène. Du haut de ses 36 ans, le jeune officier, qui a été déployé en première ligne dans le nord et l’est du pays, jure de mener une guerre totale contre les djihadistes. Celui qui a promis d’améliorer la situation en seulement trois mois au lendemain de son putsch recrute des milliers de VDP supplémentaires – notamment parmi les Dozos, chasseurs traditionnels dogons historiquement hostiles aux Peuls – et les arme massivement. Il fonde aussi des Bataillons d’intervention rapides (BIR), des unités mobiles de 200 à 300 hommes chacune à même d’appliquer sa stratégie offensive.

Sur le terrain, les VDP et les BIR, majoritairement composés de jeunes soldats sans expérience militaire, essuient des embuscades meurtrières. Leurs représailles dans les villages peuls sont de plus en plus sanglantes.

A leurs yeux, les populations qui continuent à vivre dans des zones contrôlées par les djihadistes sont forcément complices – ce qui n’est par endroits pas totalement faux, que ce soit de manière contrainte ou volontaire. « Les VDP et les membres de BIR font ce qu’ils veulent au niveau local. Ils sont devenus presque incontrôlables », déplore un officier.

Le capitaine Traoré « couvre ces exactions »

La situation est devenue si préoccupante que certains leaders de la communauté dénoncent désormais un « génocide ». « Nos enquêtes montrent clairement qu’il y a un ciblage des civils sur une base ethnique », tranche Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch.

Se pose alors la question de la responsabilité des autorités, à commencer par celle du capitaine Traoré. « Il n’a peut-être pas de stratégie organisée mais, a minima, il couvre ces exactions, estime une source sécuritaire. Il n’est pas guidé par des considérations ethniques dont il se moque mais par la volonté de combattre tous ceux qui sont contre lui. Si les Peuls le sont, alors il les combat. »

Selon un militaire qui le connaît bien, le chef de la junte a toutefois été profondément marqué par son expérience au front, dans des zones où il se battait régulièrement contre des groupes djihadistes majoritairement composés de Peuls. « Il est convaincu, comme d’autres officiers, qu’il y a désormais un problème peul », affirme cette source.

De fait, rares sont les membres de cette communauté à occuper des fonctions d’encadrement dans l’armée. En décembre 2024, c’est pourtant l’un des rares gradés peuls, le général Moussa Diallo, qui est nommé chef d’état-major général des armées. Une simple caution pour se dédouaner des multiples critiques, dénoncent des activistes sous couvert d’anonymat.

« Les massacres se sont intensifiés »

Au sein de la communauté peule, beaucoup évoquent la date du 20 février 2023 lorsqu’ils évoquent le basculement de leurs rapports avec « IB », le surnom donné à Ibrahim Traoré par ses compatriotes. Ce jour-là, le capitaine reçoit une délégation de ses principaux représentants à la présidence. Plutôt que d’écouter leurs doléances, ainsi qu’ils l’espéraient, leur hôte leur administre une mise en garde sur un ton menaçant, vécue par beaucoup comme une humiliation.

« Allez dire à vos parents de déposer les armes », lance-t-il à son auditoire abasourdi. « Puis il a ajouté : “Je vais les tuer tous”, assure Binta Sidibé Gascon, présidente de l’observatoire Kisal, une ONG de défense des droits des droits humains au Sahel. Depuis ces propos, les massacres se sont intensifiés. Enfants, femmes, vieillards… Tout le monde y passe. »

Ceux qui survivent et qui le peuvent fuient. Dans les environs de Ouahigouya, près de Nouna, autour de Banfora… Plusieurs zones ont été désertées de leurs habitants peuls. Dans les pays voisins, notamment la Côte d’Ivoire et le Ghana, les réfugiés burkinabés affluent. En plus de piller et de voler leur bétail, les VDP locaux s’approprient parfois leurs terres. Une manière de compromettre toute perspective de retour.

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

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