Juges, avocats, médias, universités… la redoutable et efficace stratégie d’intimidation de Donald Trump

En multipliant les menaces contre les personnes et les institutions qu’il considère comme hostiles, le président américain instaure un climat délétère, qui fragilise les institutions américaines.

Le Monde – La tactique militaire Shock and Awe, pour « choc et effroi », revient souvent pour qualifier les premières semaines de la seconde présidence de Donald Trump. En matière de guerre, il s’agit d’écraser le plus vite possible l’adversaire en recourant à une puissance de feu à laquelle il ne peut répondre. La comparaison n’est pas usurpée autant pour le nombre de fronts ouverts simultanément que pour le recours à l’intimidation comme instrument jugé légitime par la nouvelle administration.

L’assaut lancé contre les universités, considérées comme des bastions d’une élite vouée aux gémonies, paie. Menacée de coupes claires dans les aides fédérales dont elle bénéficie, l’université Columbia, à New York, théâtre à partir de mars 2024 des plus fortes mobilisations étudiantes contre la guerre conduite par Israël à Gaza, a cédé le 21 mars aux exigences de supervision de son fonctionnement avancées par l’administration Trump. Cette attaque sans précédent contre la liberté académique n’a suscité aucune réaction d’envergure.

Dans un entretien au New York Times, le 7 mars, un influent activiste conservateur, Christopher Rufo, a défendu l’instrumentalisation du financement des universités par le gouvernement fédéral qui vise à placer ces dernières « dans une situation de terreur existentielle ». Les établissements les plus prestigieux ne sont pas les seuls concernés. Dans le seul Etat du Michigan, au moins deux sont également menacés de coupes budgétaires et un troisième est touché par celles visant l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) que la nouvelle administration entend supprimer.

Un « esprit de représailles »

La pression a également contraint, le 20 mars, un influent cabinet d’avocats, Paul Weiss, mis en cause par l’administration pour compter dans ses rangs des juristes liés aux enquêtes ayant visé Donald Trump, à se plier aux injonctions présidentielles. Il s’est engagé à défendre à ses frais certaines causes de l’administration. Le 14 mars, un décret avait suspendu les habilitations de sécurité d’avocats de ce cabinet et réduit l’accès de ses membres aux bâtiments gouvernementaux ainsi qu’à des contrats fédéraux, menaçant directement son existence.

Il s’agissait de la troisième attaque contre des avocats après celles qui ont visé, le 25 février et le 6 mars, deux autres cabinets réputés, Perkins Coie et Covington and Burling ; ces derniers ont travaillé par le passé pour le Parti démocrate ainsi que pour le procureur indépendant Jack Smith, chargé des enquêtes contre Donald Trump pour son rôle dans le coup de force du 6 janvier 2021 et la conservation illégale de documents classifiés après son départ du pouvoir. Une juge a temporairement bloqué, le 12 mars, l’un de ces décrets en estimant que cet « esprit de représailles [lui] fai[sai]t froid dans le dos ». Le président a publié un nouveau décret le 22 mars visant officiellement à « prévenir les abus du système juridique » qui généralise ces menaces.

Les juges fédéraux qui ont osé bloquer les décrets présidentiels les plus controversés font déjà l’expérience de cette stratégie de la peur. Ils sont quotidiennement insultés par les plus hautes figures de l’administration : le président, le vice-président, J. D. Vance, et l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, chargé par Donald Trump de couper dans les dépenses fédérales sans disposer du moindre mandat ni de la moindre approbation du Congrès.

Le camp présidentiel dénonce un acharnement de juges politisés, parfois traités de « dingues de gauchistes », passant sous silence le fait que jamais auparavant un président pourtant assuré du soutien d’un Congrès tout à sa dévotion n’a autant gouverné par décret ou cherché avec une telle opiniâtreté à tester les limites de ses prérogatives.

Mise en garde du président de la Cour suprême

Cette stigmatisation est décuplée par le réseau social X d’Elon Musk. La famille d’une juge conservatrice de la Cour suprême, Amy Coney Barrett, qui a apporté la voix décisive, le 5 mars, dans une décision défavorable à l’administration, a également été visée. Au rang des intimidations, des juges ont été ciblés à leur domicile par des livraisons en apparence anodines de pizzas, suggérant que leur adresse était connue.

Ces incidents ont alarmé les services de police chargés de la sécurité des magistrats, et tiré de sa réserve habituelle John Roberts, le président de la Cour suprême, la plus haute instance judiciaire des Etats-Unis, qui a mis en garde contre les périls de telles mises en cause. Les conservateurs rappellent, eux, qu’un homme avait été arrêté en 2022 alors qu’il envisageait de tuer le juge de la Cour suprême nommé par Donald Trump, Brett Kavanaugh, pour des raisons politiques.

Ces menaces contre les juges fédéraux auraient été certainement relativisées si Donald Trump, au premier jour de son nouveau mandat, n’avait pas gracié quasiment toutes les personnes jugées et condamnées pour leur participation aux violences ayant accompagné l’assaut contre le Capitole, le 6 janvier 2021. Y compris celles qui s’étaient attaquées aux forces de l’ordre. Ce pardon peut être interprété par ses partisans les plus déterminés comme un blanc-seing, surtout de la part d’un homme qui leur avait assuré incarner leur « vengeance ».

Donald Trump, qui a privé de protection fédérale d’anciens membres de son administration devenus critiques, a, de même, déclaré « nuls et non avenus » les pardons présidentiels par anticipation paraphés par son prédécesseur, Joe Biden, pour protéger de sa vindicte les républicains qui avaient participé à une commission d’enquête de la Chambre des représentants consacrée à cet assaut. Motif avancé dont il est peu probable qu’il puisse être retenu : le démocrate aurait utilisé un mode de signature automatique.

Vent de panique

L’intimidation s’étend bien au-delà des juges. La presse que Donald Trump a régulièrement ciblée par des procédures judiciaires a été de nouveau attaquée lors d’un discours tenu au département de la justice, le 14 mars, au cours duquel le président américain a qualifié d’« illégal » le travail d’investigation des journalistes le visant. « Ça doit s’arrêter », a-t-il ajouté.

Des symboles peuvent faire les frais de cette stratégie. La maire démocrate de Washington, Muriel Bowser, a ainsi fait disparaître les grandes lettres jaunes des mots « Black Lives Matter » peintes sur la chaussée après la mort de George Floyd, en 2020, un Afro-Américain victime d’une arrestation violente par un officier de police de Minneapolis. Ces lettres avaient été peintes à proximité d’un square jouxtant la Maison Blanche, où Donald Trump, alors président, s’était rendu en signe de défiance contre la vague de protestation qui avait embrasé le pays. L’édile a pris cette décision pour éviter que sa ville, qui dispose d’un statut particulier en tant que capitale fédérale, ne subisse des mesures de rétorsion, notamment financières.

L’intimidation peut être plus insidieuse. Un vent de panique s’est en effet répandu parmi les résidents titulaires de la « carte verte » originaires du Proche-Orient après des expulsions motivées par des accusations de soutien à des organisations jugées terroristes par les Etats-Unis. « Je ne pensais pas que j’aurais à dire un jour à mes proches, dans ce pays, d’éviter de publier leurs opinions politiques sur des réseaux sociaux », avoue un ancien procureur adjoint des Etats-Unis, naturalisé depuis trente ans, s’exprimant sous couvert d’anonymat.

Le silence du monde des affaires

Les Eglises les plus impliquées dans l’assistance aux migrants ont aussi pris note des attaques publiques de Donald Trump contre l’évêque épiscopalienne de Washington, Mariann Budde, qui en avait appelé, le 21 janvier, au cours de la messe à laquelle assistait le président, à sa « miséricorde » à l’égard des minorités sexuelles et les migrants. Elles ont choisi pour l’instant de riposter uniquement sur le terrain judiciaire, note Robert Jones, qui dirige un cercle de réflexion consacré aux questions religieuses, le Public Religion Research Institute à Washington.

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 (Washington, envoyé spécial)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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