En Afrique, « ceux qui désinforment ont maintenant le sentiment de pouvoir le faire avec une certaine liberté »

La décision de Meta de supprimer son programme de fact-checking aux Etats-Unis inquiète les vérificateurs de faits sur le continent africain, une région très vulnérable aux campagnes de manipulation de l’information.

Le Monde  – Au mois de janvier, la rédaction d’Africa Check à Dakar a reçu une flopée de mails au ton menaçant. « On nous écrivait : “Vous, les fact-checkers, Zuckerberg va vous dégager” », raconte Valdez Onanina, rédacteur en chef du bureau francophone de ce site, le premier en Afrique consacré à la vérification des faits.

Quelques jours plus tôt, le patron de Meta, Mark Zuckerberg, avait annoncé un relâchement substantiel des règles de modération de contenus sur les plateformes de sa société, Facebook et Instagram en tête. Un changement de cap décidé au nom de la liberté d’expression, expliquait le dirigeant, accusant les vérificateurs de faits d’être « trop orientés politiquement ».

Depuis, le groupe a supprimé son programme de fact-checking aux Etats-Unis, au profit d’un système de modération collective similaire à celui existant sur le réseau social X. L’entreprise californienne a indiqué mi-mars envisager d’étendre au monde entier ce dispositif de « notes communautaires » produites par des utilisateurs référencés pour signaler des contenus douteux. Et ainsi abandonner les méthodes traditionnelles sur lesquelles Meta s’appuyait jusqu’ici pour lutter contre la désinformation, via des partenariats avec divers médias et organisations de fact-checking certifiés dans une centaine de pays.

La volte-face de Meta ne concerne pas encore directement l’Afrique, mais ses répercussions s’y font déjà sentir. « Cette décision a accru la défiance vis-à-vis des vérificateurs de faits et ceux qui désinforment ont maintenant le sentiment de pouvoir le faire avec une certaine liberté », estime Valdez Onanina, dont le site est un partenaire de Meta.

Un contexte d’autant plus préoccupant que l’explosion, ces dernières années, de l’utilisation des réseaux sociaux sur le continent en a fait un terrain fertile pour la propagation des fausses nouvelles et des discours de haine. Selon diverses estimations, entre 300 et 400 millions d’Africains sont aujourd’hui actifs sur les réseaux sociaux. Et les plateformes comme Facebook ou TikTok constituent pour beaucoup le principal moyen de s’informer.

« Des conséquences considérables »

En avril 2024, une étude du Centre d’études stratégiques de l’Afrique, un cercle de réflexion basé à Washington, rapportait que les campagnes de manipulation de l’information avaient presque quadruplé en Afrique depuis 2022, notamment sous l’influence de « sponsors » étrangers comme la Russie. Le manque d’éducation aux médias et la faiblesse des régulations consacrées à lutte contre la désinformation contribuent à aggraver le phénomène. Pire, ses effets néfastes y sont souvent plus marqués que dans d’autres régions du monde.

La diffusion de fake news en Afrique a « déjà eu des conséquences considérables », qu’il s’agisse de « perturber les processus électoraux » ou de « mettre en péril la santé publique », relevait le Cipesa (The Collaboration on International ICT Policy in East and Southern Africa), un think-tank basé en Ouganda, dans une publication postée mi-janvier en réaction à la décision de Meta.

« Dans un contexte de tensions sociales et politiques et d’un faible niveau de confiance envers les autorités et la police, comme on l’observe dans de nombreux pays africains, de fausses allégations sont davantage susceptibles d’entraîner des violences », analyse aussi Peter Cunliffe-Jones, chercheur spécialiste de la désinformation à l’université de Westminster (Royaume-Uni) et fondateur du site Africa Check qu’il a quitté en 2019.

Sur le terrain, les organisations de fact-checking constatent l’amplification et la banalisation des récits trompeurs qui circulent à travers les réseaux, notamment sur des boucles fermées comme WhatsApp et Telegram. « Notre équipe a de plus en plus de travail », rapporte ainsi Nina Lamparski, qui a dirigé ces cinq dernières années la cellule d’investigation numérique pour l’Afrique de l’Agence France-Presse (AFP), l’un des principaux partenaires de Meta pour la vérification de faits.

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Source : Le Monde

 

 

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