
En 1990, trente ans après le Soleil des Indépendances, lors du discours de La Baule, François Mitterrand, président français, appelait les États africains à s’engager dans la démocratisation en conditionnant l’aide au développement à l’ouverture politique. Cet appel marqua un tournant décisif en Afrique francophone et poussa des pays comme la Mauritanie à adopter le multipartisme en 1991.
Cette ouverture est une opportunité pour construire une véritable unité, fondée sur l’inclusion et la justice sociale. De ce fait, l’unité nationale est célébrée comme l’un des piliers fondamentaux de tout État moderne. Au cours des dialogues entre l’opposition et le pouvoir -souvent disposant de la majorité-, ce concept revient. Dans notre république, il résonne particulièrement fort, tant dans les discours politiques que dans les aspirations populaires.
Pourtant, derrière cet idéal se cachent des réalités plus complexes qui méritent une réflexion approfondie. Pourtant, plus de trois décennies après, la Mauritanie reste confrontée à des défis majeurs concernant les questions sociales, économiques et politiques.
À première vue, l’unité nationale semble être une nécessité, un impératif pour garantir la stabilité et la prospérité. Cependant, si l’on observe de plus près, on constate que cet objectif reste souvent hors de portée —pour le moment. Les inégalités économiques persistantes, les exclusions politiques systématiques, la gestion tribale du pouvoir, l’influence militaire omniprésente, ainsi que les choix idéologiques en matière de langue et d’éducation continuent d’entraver l’émergence d’une véritable cohésion nationale.
Dans ce contexte, l’unité nationale en Mauritanie est-elle une réalité en construction ou un leurre soigneusement entretenu ? Cette analyse propose d’explorer les soubassements internes, tout en mettant en lumière les perspectives d’unité fondée sur une gouvernance plus équitable et inclusive.
I. L’unité nationale : une aspiration légitime, mais un idéal fragile
L’unité nationale, dans son sens le plus profond, repose sur l’idée d’une appartenance commune à une même nation, au-delà des différences de culture, de langue ou d’ethnie. En République islamique de Mauritanie, cette aspiration est « théoriquement » partagée par la majorité des citoyens. Cependant, dans la pratique, sa réalisation se heurte à plusieurs « Hurdles » décisifs.
1. La diversité, entre richesse et tensions
Le pays, riche de sa diversité culturelle et géographique, aspire à l’unité, mais les fractures sociales, économiques et politiques sont toujours présentes et profondément enracinées. Dans cette nation mosaïque se trouve un peuple métisse. Cette diversité culturelle unique, se manifeste avec une population composée de Maures (Beïdane et Haratines), Peuls, Soninko, Wolofs et Bambaras. Cette diversité, au lieu d’être un facteur de cohésion, devient parfois un terrain fertile pour les crispations, exacerbées par des discriminations sociales et économiques persistantes, malgré l’adoption, au fil des années, de plusieurs lois d’orientation et lois organiques visant à renforcer l’unité nationale et à en garantir le respect.
Alors que l’enrichissement de cette diversité tout en optant pour une culture citoyenne entièrement pourrait constituer un fondement solide pour une unité nationale basée sur la reconnaissance de chaque culture et identité, la réalité montre que les crispations identitaires et les inégalités nourrissent une forme d’exclusion. La construction d’une nation unie passe par une gestion inclusive de cette diversité, mais cette gestion semble, jusqu’à présent, manquer d’efficacité.
2. Unité nationale : des fondements institutionnels fragiles ?
Tout au long de son histoire politique, plusieurs initiatives ont été mises en place pour promouvoir l’unité nationale. Des symboles ont été créés, des discours officiels prononcés et des efforts de réconciliation engagés, notamment avec le retour des réfugiés et la lutte contre l’esclavage. Pourtant, ces avancées restent fragiles face aux disparités persistantes dans l’accès aux leviers du pouvoir, aux exclusions politiques et aux inégalités économiques. En somme, les fondements d’une véritable cohésion nationale demeurent précaires. Les fractures sociales et économiques se reflètent dans une gestion politique marquée par une inclusion sélective, tandis que certains dénoncent une hégémonie culturelle.
Ainsi, l’unité nationale ne saurait se limiter aux discours ; elle exige des actions concrètes en faveur de l’inclusion sociale, de l’égalité des chances et de l’équité politique entre les femmes et les hommes, ainsi qu’entre les différentes communautés culturelles. En l’absence de réformes structurelles profondes visant à combattre le système des castes, le tribalisme, le régionalisme et tous les autres -ismes qui divisent, sauf le patriotisme, cet idéal restera hors de portée. L’unité nationale demeure un projet en construction, nécessitant des réformes courageuses et une volonté sincère d’inclusion pour devenir une réalité partagée par toutes et tous.
II. Inégalités économiques : un obstacle majeur à l’unité
L’une des causes profondes des inégalités en Mauritanie réside dans l’inégale répartition des richesses et des ressources. Malgré un potentiel économique important, grâce à l’exploitation des ressources naturelles telles que le fer, le gaz et le pétrole, les bénéfices économiques ne sont pas répartis de manière équitable. Une petite élite détient le contrôle de la majorité des secteurs économiques, laissant indifféremment une large partie de la population dans une précarité constante.
1. Une élite économique fermée
Les inégalités économiques, aggravées par les obstacles liés à l’enrôlement à l’état civil et par un système éducatif ne répondant pas aux normes internationales, ne se résument pas à un simple écart entre riches et pauvres. Elles sont renforcées par une structure sociale figée et par le monopole d’un groupe sur l’ensemble des leviers économiques, limitant l’accès aux opportunités pour le reste de la population. Cette concentration des richesses entre les mains d’une élite restreinte alimente un profond sentiment de frustration et d’exclusion, en particulier chez les communautés marginalisées, telles que les Haratines et les populations dites négro-mauritaniennes.
2. Les ressources naturelles: une chance ou une malédiction ?
La Mauritanie possède l’un des littoraux les plus poissonneux au monde. L’exploitation du fer y est ancienne, l’or y est extrait, et le pays dispose également de gisements de gaz et de pétrole, deux ressources convoitées par les grandes puissances. La gestion du gaz par consortium devait établir les bases d’une exploitation raisonnée et équilibrée des autres richesses nationales.
L’arrivée du pétrole et du gaz représente un tournant potentiel pour la Mauritanie, mais elle soulève aussi des questions cruciales quant à la gestion de ces ressources. Si les revenus issus de ces secteurs ne sont pas utilisés de manière transparente et inclusive, il existe un risque réel que ces richesses aggravent les inégalités existantes au lieu de favoriser l’unité nationale.
Le pays se trouve ainsi à un carrefour : ses ressources naturelles peuvent devenir un levier de développement partagé, à condition que leur gestion soit décentralisée et transparente, garantissant des opportunités pour l’ensemble de la population. À défaut, elles risquent d’accentuer les fractures sociales et de devenir un nouveau facteur de tensions.
III. Un système politique exclusif et verrouillé
1. La gestion du pouvoir : tribale ou démocratique ?
L’accès au pouvoir en Mauritanie est souvent dicté par des logiques tribales et clientélistes, reléguant le mérite et la compétence au second plan. Bien que certaines compétences soient aujourd’hui mises en avant, les nominations dans l’administration et les postes de responsabilité restent largement influencées par des liens familiaux et tribaux, plutôt que par des critères de compétence ou de représentativité équitable. Certaines familles politiques reviennent ainsi de façon récurrente dans l’architecture du pouvoir.
Cette gestion renforce le sentiment de marginalisation au sein de nombreuses communautés, qui se voient exclues des sphères décisionnelles. Elle perpétue une fracture entre l’élite et le reste de la population, favorisant l’émergence d’une classe politique hermétique, souvent déconnectée des préoccupations réelles des citoyens.
2. Un système politique inclusif ou non ?
En dépit du fait que le pays organise des élections et permette l’existence de partis politiques, l’accès aux hautes fonctions de l’État repose encore largement sur des logiques tribales et clientélistes, où les nominations se font selon des alliances politiques et familiales, plutôt que sur des critères de compétence ou de mérite. L’alternance démocratique est alors freinée par un système politique où les forces sociales et politiques en dehors des cercles d’élite ont du mal à se faire entendre. Cela soulève une question cruciale : Comment construire une unité nationale solide si les mécanismes politiques d’inclusion sont absents ?
Bien que la Mauritanie soit officiellement une démocratie multipartite, le paysage politique reste largement contrôlé par les cercles de pouvoir en place. Les élections, bien qu’existantes, sont souvent marquées par des irrégularités et des manipulations institutionnelles empêchant une réelle alternance.
L’absence d’un véritable dialogue politique inclusif renforce le sentiment d’exclusion d’une partie de la population, réduisant ainsi les perspectives d’une unité nationale authentique.
IV. L’influence militaire : un État sous tutelle ?
1. Une omniprésence de l’armée dans la vie politique
Depuis l’indépendance, l’armée a été un acteur central du pouvoir, oscillant entre coups d’État et influence discrète sur les décisions politiques. Si son intervention a parfois contribué à une certaine stabilité, elle a aussi freiné l’émergence d’une gouvernance véritablement civile ; voire démocratique. Son empreinte sur l’histoire politique du pays demeure profonde, tant par ses prises de pouvoir directes que par son poids dans les grandes orientations nationales. D’aucuns pensent que cela perpétue ainsi une présence qui limite la transition vers une réelle démocratie.
2. Une transition nécessaire vers un pouvoir civil uniquement
Pour que la Mauritanie progresse vers une unité nationale durable, l’armée doit progressivement se retirer de la sphère politique et permettre l’émergence d’institutions autonomes et indépendantes. Cela exige des réformes constitutionnelles profondes, assurant une véritable séparation des pouvoirs. Si cette séparation semble visible en théorie, on peut s’interroger sur la réalité de son application : la présence de l’armée dans la vie politique ne constitue-t-elle pas un frein à une gouvernance véritablement inclusive et démocratique ? In fine, cette emprise pourrait représenter un obstacle majeur à l’unité nationale, d’autant plus que l’institution militaire, à l’instar des hautes sphères politiques, semble influencée par des considérations idéologiques..
V. Choix en matière de langue et d’éducation : des fractures invisibles mais profondes
1. La question de la langue : Une instrumentalisation idéologique ?
L’arabe a été imposé comme langue dominante dans l’administration et la justice, accentuant la marginalisation des autres langues nationales ainsi que du français, pourtant essentiel à la transmission des savoirs techniques et scientifiques.
Ce choix dépasse la simple question linguistique ; il relève d’une orientation idéologique. En privilégiant l’arabe, l’État a ignoré les autres langues pourtant parlées par une part significative de la population, instaurant ainsi une forme d’exclusion silencieuse.
Par ailleurs, les écoles françaises restent largement accessibles aux enfants de l’élite, tandis que l’enseignement public, du primaire au secondaire, est en déclin, souffrant d’un manque criant de moyens et d’investissement.
2. L’importance d’une ouverture linguistique : le français et l’anglais comme clés de l’avenir ?
Dans un monde globalisé, la maîtrise du français et de l’anglais est devenue indispensable pour accéder aux savoirs techniques, scientifiques et économiques. Le français, en particulier, relie la Mauritanie aux réseaux académiques et industriels internationaux, tandis que l’anglais s’impose comme une nécessité avec l’essor du secteur pétrolier et gazier, où il constitue la langue des formations et des outils spécialisés.
Malgré la présence d’écoles américaines, celles-ci restent inaccessibles aux ménages à faibles revenus, creusant davantage les inégalités éducatives.
La politique linguistique menée jusqu’ici a davantage servi un projet identitaire qu’un véritable objectif de développement. L’avenir du pays repose donc sur une approche éducative pragmatique, misant sur l’inclusion linguistique plutôt que sur une imposition idéologique
Conclusion : Unité nationale, un projet inachevé ?
L’unité nationale en Mauritanie, bien que constamment invoquée, reste entravée par des fractures sociales, économiques et politiques profondes. La mauvaise gestion de la diversité culturelle, les exclusions politiques et économiques, l’influence militaire persistante et les tensions linguistiques compromettent la cohésion nationale.
Toutefois, cet idéal demeure atteignable à condition d’engager des réformes structurelles courageuses :
• Une gouvernance transparente et inclusive
• Une redistribution équitable des ressources
• Une participation effective de toutes les communautés au processus décisionnel
• Une transition démocratique réelle, libérée de l’influence militaire
L’avenir de l’unité nationale repose sur la volonté collective d’opérer ces transformations. Sans elles, elle restera un leurre ; avec elles, elle peut devenir une véritable lueur d’espoir pour une Mauritanie plus juste et inclusive.
Souleymane Sidibé
(Reçu à Kassataya.com le 16 mars 2025)
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