
« Quand on zappe l’Ecole certains retards deviennent des tares à vie. La solution à l’analphabétisme n’est pas un micro-enregistreur en face de la bouche, il faut retourner à l’Ecole » . Sammba NDEET
La communication vocale numérique, ou les audios pour faire plus simple, sont en train de balayer l’écriture des langues africaines.
C’est une tendance lourde depuis l’abandon progressif des e-mails au profit de WhatsApp et autres plateformes.
Ce phénomène rappelle que la modernité peut être un outil de conservation ou de destruction des cultures, selon l’usage qu’on en fait.
C’est un mal très perceptible sur le Whatsapp en langue Pulaar/fulfulde. Il y a même des groupes qui limitent les écrits. D’autres affichent clairement leur préférence pour un public analphabète et les échanges y sont rarement structurés et pérennes. L’avantage non négligeable d’un texte est la possibilité de le retrouver en tapant quelques mots-clés. Un audio tiendra tout au plus une semaine, et, s’il n’est pas accompagné d’un commentaire, on perdra vite sa trace.
Force est de constater que l’écriture n’est plus en odeur de sainteté dans un monde accéléré, où le flux d’informations est telle qu’on préfère scroller des vidéos courtes, écouter des audios dont les auteurs n’ont pas le temps d’écrire ou n’ont pas un bon niveau d’études (pour ne pas dire analphabètes)
C’est un constat préoccupant. L’essor des audios a un effet paradoxal sur les langues africaines. D’un côté, ces outils permettent une transmission orale plus large et instantanée, mais de l’autre, ils contrent l’écriture de nos langues maternelles. Il sera de plus en plus difficile de produire des livres africains de qualité puisque les lecteurs sont en train de disparaitre.
Ces technologies menacent les langues africaines si elles ne sont pas accompagnées d’un effort de valorisation de l’écrit. On l’a dit: elles entraînent moins d’écriture en langues locales. Les messages vocaux évitent l’écrit, or, une langue qui n’est pas écrite s’affaiblit sur le long terme et finit par s’éteindre. Il y a aussi moins de communication entre les générations, les enfants et les jeunes communiquent de plus en plus dans les langues dominantes, délaissant celles de leurs ancêtres. L’uniformisation culturelle guette et va bientôt balayer les langues en phase de mort avancée, caractérisées par l’absence de publications littéraires et scientifiques.
Mais tout n’est pas perdu : voici des actions concrètes pour contrer cette tendance :
1. Encourager l’écriture en langues locales sur les réseaux sociaux et les applications de messagerie
2. Créer des contenus audio et vidéo dans ces langues (podcasts, YouTube, TikTok…).
3. Développer des outils de reconnaissance vocale adaptés aux langues africaines.
4. Sensibiliser les familles et les écoles sur 4. l’importance de parler et d’écrire dans les langues locales.
Devrais-je m’excuser d’avoir écrit cet article en français ? Non, je suis pour le l’interpénétration des cultures et ce problème de forte tendance à l’oralité touche aussi les langues dominantes à tel point qu’ils réfléchissent à une simplification de leur grammaire et orthographe.
Combien auraient lu ce papier s’il était en Pulaar/Fulfulde ou en bambara ? Pas grand monde car l’alerte lancée ici est un danger qui campe depuis plusieurs décennies. Quand on zappe l’Ecole certains retards deviennent des tares à vie. La solution à l’analphabétisme n’est pas un micro-enregistreur en face de la bouche, il faut retourner à l’Ecole.
Une langue meurt lorsqu’elle cesse d’être transmise, parlée, mais surtout écrite. L’oralité seule ne suffit pas. Il est urgent de réhabiliter l’écrit dans nos langues, faute de quoi elles deviendront des vestiges culturels, des souvenirs d’ancêtres que plus personne ne pourra lire.
13 mars 2025
Sammba NDEET
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