
Afrique XXI – Analyse · Alors que plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont basculé ces dernières années dans des régimes militaires, les partis politiques y sont de plus en plus menacés. Au Mali, si les citoyens semblent toujours attachés à la démocratie chèrement acquise en 1991, ils sont de plus en plus déçus par l’offre des partis et deviennent indifférents à leur sort.
Dans un contexte de défiance des citoyens à l’égard des partis politiques et des élites en général, le Dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale (DIMPR), organisé par les autorités de transition, a recommandé, le 10 mai 2024, la relecture de la « charte des partis politiques [afin de] durcir les conditions de création et de fonctionnement, [diminuer] leur nombre et [supprimer leur] financement public ».
Cette recommandation, qui a repris une préconisation formulée lors des Assises nationales de la refondation, en 2021, est devenue un entêtant serpent de mer. Elle se base sur un constat établi de longue date : une inflation politique ou partisane qui serait source de « problèmes [pour le] processus démocratique1 ». L’une des solutions imaginées à la crise des partis politiques serait donc l’instauration d’une limitation de leur nombre2.
Les échanges se sont tenus alors que les autorités maliennes ont suspendu, le 10 avril, les activités des partis politiques et des associations à caractère politique « jusqu’à nouvel ordre » et sur toute l’étendue du territoire, pour que le dialogue se « déroule dans un climat de sérénité et non de cacophonie ».
Absence d’alternance politique pacifique
Deux mois plus tard, le 22 juin 2024, des figures politiques – dont des responsables de partis – sont arrêtées lors d’une rencontre qualifiée par elles-mêmes de « privée », puis emprisonnées, le pouvoir leur reprochant une violation de l’interdiction des activités politiques. Auparavant, en décembre 2023, le parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi) avait reçu une assignation en justice pour sa dissolution réclamée par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD). Si la justice a rejeté la demande de l’État le 20 mai 2024, le leader du parti, Oumar Mariko, est en exil depuis avril 2022.
En plus d’illustrer une institutionnalisation de la répression politique, ces épisodes mettent en évidence la décomposition du système des partis et une crise de la représentation démocratique, qui a culminé avec les larges protestations contre le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à l’été 2020.
Le renversement du régime par des militaires, qui s’organiseront plus tard dans le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), est venu renforcer le constat de l’absence d’alternance pacifique mise en évidence par la cascade de coups d’État (2012, 2020 et 2021). De fait, le recours à la violence pour « démettre l’ordre politique et y substituer un autre3 » demeure une dynamique de l’alternance qui a caractérisé – mutatis mutandis – les pouvoirs étatiques de la période précoloniale.
L’héritage intact du parti unique
Les Maliens ont d’abord expérimenté la violence politique sous l’ère Modibo Keïta (1960-1968) à travers l’opposition entre l’Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain et le Parti soudanais progressiste. Ensuite, le régime de parti unique, dirigé par un groupe de militaires sous la direction de Moussa Traoré (1968-1991), a criminalisé l’idée et la pratique du pluralisme politique. Enfin, l’avènement de la démocratie après le renversement du pouvoir militaire n’a pas fait disparaître complètement certains réflexes et pratiques hérités du régime de parti unique, ce qui a freiné la consolidation démocratique à travers la pacification du jeu politique, l’alternance au pouvoir et l’adhésion des Maliens à la politique partisane.
Par ailleurs, le déficit de démocratie interne dans le fonctionnement des partis et d’alternance à la tête des organisations a contribué à la multiplication des scissions. Les cas les plus connus sont ceux intervenus au sein de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ), du Congrès national d’initiative démocratique (CNID Faso Yiriwa Ton) et de l’Union pour la République et la démocratie (URD)4.
Aussi, l’engouement créé par la fin du parti unique n’a pas suscité un réel intérêt des citoyens pour l’engagement militant. Pour l’économiste camerounais Célestin Monga, dans certains pays ont été construits « des partis politiques centralisés et rigides qui ne se différencient des anciens partis uniques ni par le degré d’exigence éthique, ni par le mode de fonctionnement, ni même par le positionnement idéologique. Cette similitude avec l’ordre ancien a suscité le sentiment que le multipartisme africain n’était, en fin de compte, qu’un système de multiples partis “uniques”5 ».
Des crises incessantes
Le pouvoir d’Alpha Oumar Konaré – issu en 1992 de l’instabilité sociopolitique ayant entraîné la démission de deux Premiers ministres – a fait face, de nouveau, à des protestations liées à la longue crise politique et électorale ayant prévalu entre 1997 et 2000. L’annonce des résultats du premier tour des élections législatives de 1997 a conduit dix-huit partis de l’opposition, réunis au sein du Collectif des partis politiques de l’opposition (Coppo), à descendre dans la rue pour réclamer « la dissolution de la Ceni [Commission électorale nationale indépendante], la démission du gouvernement et le gel du processus électoral6 ».
L’ordre donné par le pouvoir aux forces de sécurité de charger la manifestation, en plus de matérialiser la persistance de la violence politique, a suscité des marches qui ont paralysé Bamako, rappelant les journées d’insurrection contre le régime de Moussa Traoré. La multiplication de ces actions par l’opposition a entraîné des morts, des interpellations et l’inculpation d’acteurs politiques. L’ouverture d’une enquête sur le décès d’un policier battu par la foule lors d’un meeting le 9 août 1997 a conduit à l’interpellation de neuf personnes, parmi lesquelles des leaders de l’opposition tels que Almamy Sylla, Seydou Badian, Mamadou Lamine Traoré, Youssouf Traoré, Mountaga Tall, alors placés sous mandat de dépôt pour « complicité de violences ayant entraîné mort d’homme et pour non-assistance à personne en danger ».
Bokar Sangaré est actuellement doctorant en science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB)
Mahamadou Cissé est chargé de questions de gouvernance dans une organisation non gouvernementale
Source : Afrique XXI
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