Mauritanie – Lagouéra, un maillon faible dans la lutte contre l’immigration clandestine

Une faille stratégique dans le dispositif migratoire mauritanien

Alors que la Mauritanie est devenue un acteur clé dans la gestion des flux migratoires vers l’Europe, la localité de Lagouéra apparaît comme un point de rupture sécuritaire.

Contrairement à Nouadhibou, où la coopération entre la Mauritanie et l’Espagne a permis une surveillance renforcée, cette zone frontalière échappe largement au contrôle de l’État.

La persistance des départs clandestins depuis Lagouéra met en lumière trois grandes défaillances sécuritaires :

1. Une absence de surveillance maritime qui fait de cette route un corridor privilégié pour les passeurs.

2. Une corruption au sein des forces de sécurité, où des militaires en poste monnayent leur silence en échange de pots-de-vin.

3. Un terrain difficilement contrôlable, caractérisé par un isolement géographique qui complique toute intervention rapide des autorités centrales.

La question centrale est donc de savoir si cette absence de contrôle est une faille involontaire ou une zone de compromis tacite entre les acteurs locaux et les autorités.

L’armée mauritanienne face à un dilemme entre contrôle et laisser-faire

Officiellement, l’État mauritanien est engagé dans une coopération sécuritaire avec l’Union européenne et l’Espagne pour limiter l’immigration clandestine. Nouadhibou, qui était auparavant un point majeur de départ des pirogues, a vu ses mécanismes de surveillance maritime se renforcer grâce à des appuis logistiques et financiers de Madrid et Bruxelles.

Mais sur le terrain, la situation est plus contrastée.

À Lagouéra, l’armée stationnée dans la zone semble plus passive, voire complice. Plusieurs témoignages indiquent que des militaires acceptent des paiements des passeurs en échange d’un laissez-passer des convois de migrants.

A lire aussi : Mauritanie – Enquête exclusive : Lagouéra, la route secrète des migrants vers l’Espagne

Ce type de corruption structurelle pose un défi majeur à l’autorité de l’État.  Elle reflète un problème plus large, où les forces de sécurité ne disposent ni des moyens, ni de la volonté d’appliquer les directives officielles, préférant en tirer un profit personnel.

L’implication des puissances étrangères : une coopération inégale

L’Union européenne, et plus particulièrement l’Espagne, financent depuis plusieurs années la sécurisation des côtes mauritaniennes pour endiguer le flux de migrants vers les îles Canaries.
Mais , cette coopération est inégalement appliquée. Si Nouadhibou bénéficie d’investissements en équipements et en formation, Lagouéra reste un angle mort, échappant à ces mécanismes de contrôle.

Pourquoi cette inégalité ?

L’intérêt géopolitique

L’Union européenne se focalise sur Nouadhibou et Dakar, considérés comme les principaux hubs migratoires. Lagouéra, moins visible médiatiquement, attire moins d’investissements sécuritaires.

Le manque de pression diplomatique

Les gouvernements européens concentrent leurs demandes sur les grandes villes et sur la côte atlantique, négligeant les zones plus reculées.

Un manque de coopération locale

À Nouadhibou, les autorités locales collaborent avec les Européens. À Lagouéra, les forces sur place sont souvent livrées à elles-mêmes et n’ont pas d’incitation à coopérer.

Vers une nouvelle crise migratoire ?

Avec le renforcement du contrôle sur Nouadhibou et Dakar, il est probable que le flux migratoire vers Lagouéra augmente dans les années à venir.

Les réseaux de passeurs s’adaptent aux politiques migratoires, et l’absence de surveillance maritime dans cette zone en fait une alternative de choix pour les nouvelles routes clandestines.

Les conséquences possibles

Une hausse du nombre de départs depuis Lagouéra, avec un risque accru de drames en mer.
Un afflux de migrants vers Nouadhibou en attente d’une traversée, ce qui pourrait créer des tensions locales.

Une pression accrue sur l’État mauritanien pour montrer des résultats en matière de contrôle, sous peine de voir les financements européens diminuer.

L’immigration clandestine via Lagouéra est un symptôme des contradictions de la politique migratoire en Mauritanie. D’un côté, l’État affiche une volonté de contrôle pour satisfaire ses partenaires européens. De l’autre, des dynamismes locaux – économiques, militaires et sociaux – favorisent la continuité du trafic humain.

Si la Mauritanie veut réellement contrôler cette zone, elle devra.

Renforcer la surveillance terrestre et maritime autour de Lagouéra avec des unités indépendantes des forces locales.

Lutter contre la corruption dans l’armée, en imposant des contrôles plus stricts et en sanctionnant les complicités.

Obtenir un appui logistique et financier spécifique de l’UE et de l’Espagne pour éviter que cette route ne devienne le nouveau centre de gravité de l’immigration clandestine vers les Canaries.

En l’absence de mesures concrètes, Lagouéra continuera à être un point de passage privilégié, révélant les failles et contradictions de la gestion migratoire mauritanienne.

 

 

Souleymane Hountou Djigo

Journaliste, blogueur

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile