
RFI – Plus que jamais, les artistes d’origine congolaise dominent l’industrie musicale française. Ninho, Tiakola, Dadju, SDM, Gims et Damso. Pas moins de sept d’entre eux se sont immiscés dans le top 10 des artistes les plus écoutés en France en 2024.
À ce jour, les artistes issus de la diaspora de la République démocratique du Congo (RDC) représenteraient plus d’un quart des streams de la musique française. Sur les quatorze morceaux ayant atteint le top titre l’an passé, neuf ont été réalisés par des artistes d’origine congolaise, dont les deux plus écoutés avec « Petit génie » du chanteur afro pop Jungeli et « Spider » de l’incontournable Gims.
Parmi les nouveaux venus, la diaspora n’est pas en reste, entre la « boss lady » Theodora, véritable phénomène de la fin d’année passée avec son « Kongolese sous BBL », et le très remarqué Jolagreen23, jeune rappeur à l’ascension fulgurante. Comment comprendre un tel phénomène et les spécificités de la musique congolo-descendante ? Les réponses sont à chercher dans l’exceptionnelle richesse musicale du pays et son histoire complexe.
Tradition familiale, métissage culturel
Depuis le collectif 100% congolais Bisso Na Bisso, où l’on retrouvait Lino, Calbo ou encore Passi, et dont le premier album s’était vendu à près de 200 000 exemplaires, le Congo n’a eu de cesse d’intensifier sa mainmise sur la scène hip-hop.
À l’époque, le groupe pionnier introduit de nouvelles références. Tout en assumant des influences rumba ou zouk remises au goût du jour, Bisso Na Bisso mêle la langue française et le lingala. Ce métissage culturel infuse le hip-hop.
De Maître Gims à Youssoupha en passant par Kalash Criminel, nombreux seront les artistes à employer les langues bantoues pour offrir une musicalité singulière à leurs textes ou rendre hommage à leurs racines. Car la diaspora congolaise revendique, généralement, un fort attachement au pays.
Aujourd’hui, les artistes n’hésitent d’ailleurs pas à collaborer avec ceux qui ont imprégné leur jeunesse ou qui continuent à promouvoir directement la culture musicale congolaise, comme en témoigne la collaboration entre Naza et Koffi Olomide, ou les nombreuses apparitions de Fally Ipupa chez Damso, Keblack, Ninho, etc.
La famille est aussi au cœur de la spécificité culturelle congolaise se transmettant au fil des générations. En attestent les parcours des rappeurs Youssoupha et Shay ou du producteur Le Motif, respectivement fils, petite-fille et petit-fils de la légende de la rumba congolaise Tabu Ley Rochereau.
Des bribes d’interviews laissent également entendre que les rappeurs Damso et Niska ont aussi baigné dans des milieux musicaux. Catalysant la réussite de la diaspora congolaise dans la musique française, le jeune, mais non moins expérimenté Tiakola révélait en fin d’année passée BDLM Vol°1. Teintée de gospel, d’afrobeats, de ndombolo et de rumba, la mixtape de Tiakola retentissait comme un projet majeur au croisement des influences, alliant avec dextérité mélodie et rap. Au micro du podcast CKO (Culture.Knock.Out), celui qui apprit à chanter très tôt dans une chorale chrétienne révélait : « Si tu m’entends faire des [harmoniques], c’est l’influence du Congo. J’ai regardé beaucoup mes tantes et ma mère chanter […] à l’église. »
Des clubs à la lutte
Et à l’image de ces Églises évangéliques, qui demeurent un lieu de socialisation important de la diaspora en Europe, l’essor du rap congolais trouve sa source dans la dimension spectaculaire de sa musique, imprégnée par la danse. Avec le développement des réseaux sociaux, les musiques d’afro rap ont bénéficié d’une importante exposition, souvent accompagnées de chorégraphies. De quoi participer à populariser les sons de Naza, Gims, Niska ou Franglish, pour certains devenus des références dans les clubs français.
Les sonorités et rythmiques entraînantes ambiancent le public, aussi peu familier de la rumba et du soukous soit-il. De l’aveu même du hitmaker Niska au journal Jeune Afrique, ce sont une fois de plus les « rythmiques afro, zouk, coupé-décalé ou ndombolo » écoutées « plus jeune, à la maison »qui alimentent aujourd’hui sa musique et participent au softpower congolais.
Pourtant, à l’image du hip-hop, et comme Bisso Na Bisso à son époque, les rappeurs d’origine congolaise ne se contentent pas d’être des chauffeurs de salle trustant les premières places du top 50. Certains, comme Kalash Criminel ou le Belge Isha, évoquent les souffrances de leur peuple, aussi bien au travers de la dictature, du passé colonial du pays, ou du conflit subi par la RDC depuis plus de trente ans.
Natif de Kinshasa, Damso a fui la guerre civile pour la Belgique avec sa famille à l’âge de 9 ans. L’artiste aux multiples Disques de diamant n’hésite pas à évoquer ses pénibles souvenirs dans ses textes : « Les tirs de kalash m’empêchaient de rêver » (« Graine de sablier »), « Oh Kin [Kinshasa] la belle c’qu’ils te font me fait beaucoup de peine »(« K Kin la Belle »). Et nombreux sont les artistes à joindre la parole aux actes.
Quand Damso finance la construction d’un orphelinat à Kinshasa ou crée la fondation Vie sur nous, qui lutte contre l’exploitation minière dans le pays, Gims s’engage aux côtés de Life ONG pour venir en aide aux victimes des violents conflits armés touchant actuellement le pays.
En juin dernier, le rappeur Gradur dévoile le premier titre de son projet 100% Kongo attendu depuis mai 2022, qui devrait rassembler une myriade de talents locaux. Sur le morceau, SDM, devenu ces dernières années une pointure de la trap française, s’exprime crûment sur la situation du pays : « J’veux pas faire semblant, j’sais que mon peuple se fait assassiner. Dans l’est de mon bled, y’a des civils qui meurent. »
Gradur décide d’accompagner le titre d’un post évocateur sur ses réseaux sociaux : « Le projet Kongo a pour but de valoriser, en France et dans le monde, la culture congolaise unifiée entre les deux Congos. À cette occasion, il est important de rappeler ce qu’il se passe en RDC depuis plus de trente ans : un génocide. […] Nous profiterons de notre puissance médiatique pour dénoncer, agir et faire réagir. »
Gims, qui vient de décrocher une Victoire de la musique comme interprète de l’année, déclarait en recevant son trophée : « Un petit mot pour le Congo, mon pays. Ce n’est qu’un rappel, parce que ça fait des décennies que la situation est terrible. Goma est assiégée actuellement par des milices, des groupuscules. […] C’est inhumain, ce qu’il se passe là-bas. J’aimerais qu’on y pense quelques minutes, c’est tout. C’est un message pour le Congo en tant que Congolais ayant grandi en France. » D’autres artistes ont sorti, il y a quelques jours, le titre« Free Congo » : Gradur, Ninho, Damso, Josman, Youssoupha et Kalash Criminel y dénoncent l’indifférence internationale face à l’offensive des rebelles du M23.
En fin de compte, les artistes d’origine congolaise, entre succès musical et engagement, donnent une voix plus forte à leur peuple.
Source : RFI – (4 mars 2025)
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