
The Conversation – Dans le contexte de choc politique et médiatique lié à l’élection de Donald Trump et aux prises de position des magnats des médias sociaux, les alternatives proposées aux individus semblent peser de peu de poids face aux plateformes qui s’affranchissent de tout droit. Les initiatives ont fleuri récemment au moment où Musk a promu sur sa plateforme une orientation d’extrême droite qualifiant toutes les autres de « wokistes ».
Cependant, les problèmes étaient déjà là du temps du premier patron de Twitter, Jack Dorsey, ils ont été aggravés lorsque Musk a racheté la plateforme. La fuite actuelle soutenue par des opérations comme #quitteX marque un désaccord politique, mais n’est pas fondée sur la critique même de la fonction de ce type de plateforme virale, sur son architecture ni sur sa pertinence dans l’espace public.
Ainsi, se réfugier sur BlueSky, firme privée, qui reproduit l’ancien Twitter, sans questionner l’intérêt d’un tel système d’alerte cognitive permanente pour engendrer de la viralité, est une réaction à courte vue.
Les propagandistes du Kremlin (Colon, 2023 ont désorienté les opinions publiques sur Twitter. Ils recommencent déjà sur Bluesky. Rien ne justifie ce modèle de réseau et rien ne justifie que les politiques y soient présents encore alors que leurs quêtes de visibilité leur fait perdre tout contrôle à travers des réactions trop rapides, trop tranchées, non argumentées, et générant une réputation souvent illusoire ou alors délétère par la violence que cette viralité recherchée privilégie.
Mastodon constitue une alternative différente puisque complètement open source, contrôlée par les collectifs, et organisée en instance que l’utilisateur peut choisir, pour des effets de réseau plus limités et des effets de viralité nuls.
Quelles solutions ?
Les réseaux sociaux des années 2000 ont muté et doivent en fait être répartis en trois types de plateforme aux fonctions médiatiques et sociales bien différentes. Des régulations différentes doivent leur être appliquées sur le territoire européen ou même par pays, et non en fonction du nombre d’abonnés, comme veut le faire le DSA (Digital Services Act).
Premièrement, certaines plateformes sont devenues des médias qui organisent le débat autour de contenus. C’est le cas de Twitter, de Facebook, d’Instagram et YouTube, de Twitch, de Reddit ou encore de TikTok. Leur fonction d’amplification, de viralité selon une orientation éditoriale, est essentielle, mais on les traite encore comme de simples hébergeurs, sans responsabilité sur les contenus publiés.
La couverture de la section 230 du Decency Act états-unien, qui les traite comme de simples fournisseurs d’accès, doit être retirée. Leurs récents passages à l’acte, politiques, ont choqué mais ils ont le mérite de montrer qu’il s’agit de médias avec une politique éditoriale (algorithmique) délibérée et orientée.
Ces plateformes et leurs propriétaires doivent donc demander une autorisation de publier analogue à tout autre publication et se voir contrôlées de la même manière que les autres médias (leur passage sous la supervision de l’Arcom en France est un bon signe). Leurs propriétaires devront répondre devant les tribunaux de tous les contenus illégaux publiés sur leur support. Pour l’éviter, ils devront appliquer une modération a priori et un contrôle éditorial.
Il n’est donc pas question de les empêcher d’avoir leur ligne éditoriale, mais de leur demander de l’assumer et, pour cela, d’interdire, selon les lois des pays, des publications racistes, antisémites, sexistes, homophobes, discriminantes ou incitatrices à la haine et à la violence, ou au harcèlement. Ils devront sans doute faire payer leurs abonnés pour prendre en charge toute cette activité de modération.
Ce modèle de médias est simple, il existe, il fonctionne, il est inutile de chercher à inventer des règles de modération que les plateformes ne veulent pas appliquer ou qu’elles détournent – et qui exigent des moyens disproportionnés pour la police et la justice. Qu’attend-on pour le mettre en œuvre dans un pays, même si l’Europe ne veut pas se mettre d’accord ?
Deuxièmement, d’autres plateformes proposent des fonctions de messagerie : c’est le cas de Messenger, de WhatsApp, de Telegram, de Signal, etc. Les fonctions de téléphonie/visiophonie/échange de documents relèvent dans ce cas des télécommunications et restent réglées par les principes du fournisseur d’accès. Cependant, leur détournement en médias est déjà bien avancé sur Telegram ou sur WhatsApp puisque des vastes groupes de contact y sont autorisés. Il est facile d’interdire des groupes de plus de 150 comptes correspondant au maximum de l’interconnaissance possible.
Professeur des universités émérite en sociologie. Chercheur au Centre d’Etudes Européennes et de Politique Comparée, Sciences Po
Source : The Conversation – (Le 5 mars 2025)
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