Le plan arabe pour contrer le projet de Donald Trump à Gaza, rejeté par les Etats-Unis et Israël

Les pays de la Ligue arabe ont présenté un programme de reconstruction sur cinq ans mettant le Hamas à l’écart.

Le Monde – Face au projet du président américain, Donald Trump, de déplacer les 2 millions de Gazaouis hors de l’enclave palestinienne et de placer cette dernière sous contrôle américain, les pays arabes se devaient d’opposer un plan concret pour le « jour d’après la guerre » dans la bande de Gaza. Réunis mardi 4 mars pour un sommet extraordinaire de la Ligue arabe, au sein de la nouvelle capitale administrative, à l’est du Caire, en Egypte, ils ont dénoncé à l’unisson les « tentatives odieuses de déplacer le peuple palestinien » et ont formulé une alternative pour la reconstruction et le retour de l’Autorité palestinienne (AP) dans l’enclave.

Ce plan, élaboré par l’Egypte, prévoit la reconstruction de la bande de Gaza sur cinq ans et la mise à l’écart du Hamas, responsable de l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023 contre Israël, de sa gouvernance. Le texte ne mentionne pas la démilitarisation du mouvement islamiste, pourtant exigée par Israël et les Etats-Unis, qui ont rejeté le plan arabe, jugé « dépassé » par le premier, « imparfait » par les seconds.

Le plan égyptien prévoit une reconstruction de l’enclave palestinienne en deux étapes, sans déplacement de population, pour un coût estimé à 53,2 milliards de dollars (49,7 milliards d’euros) par les Nations unies. La première phase de réponse rapide de six mois sera consacrée au déblaiement des débris, au déminage et à la fourniture de logements temporaires pour 1,5 million de personnes sur sept sites.

Effort financier

 

Pendant cette période, la bande de Gaza sera administrée par un comité composé de personnalités indépendantes et de technocrates palestiniens, placé sous la supervision de l’AP, évincée de la direction de l’enclave par le Hamas en 2007. Le nom des 20 personnes composant ce comité a fait l’objet d’un accord entre le Fatah du président palestinien, Mahmoud Abbas, et le Hamas, lors de discussions menées sous l’égide du Caire.

Dans la phase de reconstruction, qui doit s’étaler jusqu’en 2030, il est prévu de rebâtir les routes, les réseaux de distribution et les services publics, ainsi que plus de 400 000 unités de logement permanent. Le plan prévoit également la création de zones industrielles, d’un port commercial et d’un aéroport, reprenant ainsi un projet déjà inscrit dans les accords d’Oslo en 1993, mais abandonné avec l’échec du processus de paix israélo-palestinien. Il propose la mise sur pied d’un fonds de reconstruction supervisé par la Banque mondiale, pour garantir l’efficacité et la transparence des financements, qui sera abondé par les pays donateurs et les institutions financières.

Le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, a annoncé la tenue, en avril, d’une conférence internationale sur la reconstruction de Gaza, en coopération avec les Nations unies. Présent mardi au sommet, le secrétaire général, Antonio Guterres, a dit soutenir « fermement » le plan arabe. « Sans clarification sur le rôle du Hamas dans l’enclave, et notamment dans la reconstruction, il sera difficile de convaincre les Etats-Unis et l’Union européenne de financer la reconstruction », souligne toutefois Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève.

Un effort financier particulier est attendu des parrains du Golfe, bien que ces derniers n’aient pas encore motivé leur intention, soucieux d’obtenir au préalable l’assurance qu’un véritable processus de paix sera enclenché. Les Emirats arabes unis avaient également plaidé pour une refonte complète de l’AP, dont les institutions doivent reprendre la gestion de l’enclave, avant d’engager des fonds pour la reconstruction.

Exigence de la démilitarisation

 

Mahmoud Abbas a tenté de donner des gages. Près de vingt ans après le dernier scrutin général dans les territoires palestiniens, le président de 89 ans s’est dit prêt à organiser « l’année prochaine » des élections présidentielle et législatives, « à condition que les conditions soient réunies ». Le président palestinien a également annoncé une amnistie générale pour les dissidents du Fatah, qui pourrait concerner notamment son rival Mohammed Dahlan.

Sur le plan sécuritaire, l’Egypte et la Jordanie se sont engagées à restructurer et à former les forces de sécurité palestiniennes de la bande de Gaza. Le plan suggère, par ailleurs, la possibilité d’une présence internationale à Gaza et en Cisjordanie, sous la forme de forces de maintien de la paix ou de protection onusiennes. « Les Egyptiens veulent internationaliser la question et rassurer les Américains sur la sécurité d’Israël. Mais la question se pose de quel Etat sera prêt à déployer des forces et si Israël l’acceptera », souligne Hasni Abidi.

La phase de reconstruction doit s’inscrire dans un calendrier plus large menant à la création d’un Etat palestinien. « La paix est l’option stratégique des Arabes, a déclaré le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit. Le plan égyptien ouvre la voie à un nouveau contexte sécuritaire et politique à Gaza. » La mention du Hamas a été délibérément omise pour ne pas antagoniser le groupe et s’assurer de sa coopération. Le Hamas, prêt à céder le pouvoir à Gaza, a salué le plan, qualifié de « nouvelle phase d’alignement arabe et islamique sur la cause palestinienne ». L’un des chefs du mouvement, Sami Abou Zouhri, a cependant rappelé que « les armes de la résistance sont une ligne rouge (…) une question non négociable ». Or, la démilitarisation est une exigence posée par Israël et les Etats-Unis. Les Emirats, qui considèrent les groupes islamistes comme une menace existentielle, les rejoignent dans cette position intransigeante. « Les Saoudiens sont plus réalistes, ils savent qu’il est difficile de faire table rase et estiment possible de trouver des personnalités modérées dans l’aile politique du Hamas pour les associer à la gestion de Gaza », souligne Hasni Abidi.

Amadouer Donald Trump

 

La réponse d’Israël ne s’est pas fait attendre. Mardi soir, le porte-parole du ministère des affaires étrangères israélien, Oren Marmorstein, a estimé sur X que le plan égyptien « ne tient pas compte des réalités de la situation », critiquant notamment l’omission de l’attaque du 7-Octobre par le Hamas dans le communiqué conjoint du sommet. Le plan, a-t-il déclaré, reste « ancré dans des perspectives dépassées ». Le gouvernement du premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui rejette la perspective d’un retour de l’AP dans la bande de Gaza et la création d’un Etat palestinien, a redit son attachement au plan Trump. Le chef de la diplomatie égyptienne, Badr Abdelatty, a qualifié d’« inacceptable » le rejet d’Israël, qualifiant sa position d’« obstinée et extrémiste » et dénonçant les violations répétées du droit international.

Le plan arabe a également été rejeté par la Maison Blanche. Mardi, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, Brian Hughes, a qualifié la proposition égyptienne d’impraticable, estimant la bande de Gaza « inhabitable ». « Le président Trump reste fidèle à sa vision de reconstruire Gaza sans le Hamas », a-t-il ajouté.

Les dirigeants arabes se sont bien gardés d’attaquer frontalement Donald Trump, et ont plutôt cherché à l’amadouer. Appelant à « un processus politique sérieux et efficace menant à une solution juste et durable à la cause palestinienne », le président égyptien a ajouté : « Je suis convaincu que le président Trump est capable d’y parvenir. »

« Une transaction va désormais commencer avec l’Arabie saoudite, qui va assurer le portage du plan. Elle dispose pour cela d’une caution arabe et bientôt musulmane », pointe M. Abidi. Vendredi, une réunion au niveau ministériel doit se tenir à Djedda, au siège de l’Organisation de la coopération islamique, pour affiner le plan arabe et obtenir le soutien des nations musulmanes. Le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, absent mardi en Egypte, devrait jouer de ses relations étroites avec Donald Trump pour le convaincre d’accepter une solution basée sur ce plan.

« C’est un plan réaliste et complet. On espère que tout le monde sera au rendez-vous, car l’alternative, c’est un nettoyage ethnique. La démilitarisation du Hamas viendra après un accord sur une solution à deux Etats, quand l’occupation israélienne prendra fin. Je suis certain qu’au final, les Etats-Unis pourront jouer un rôle positif pour faire avancer ce plan, ainsi que la seconde phase de l’accord de cessez-le-feu », dit l’ancien diplomate égyptien Mohamed Hegazy. Le plan arabe est, en effet, suspendu aux pourparlers sur la trêve actuelle entre Israël et le Hamas, plus que jamais fragile.

Source : Le Monde  – (Le 05 mars 2025)

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