
Info Migrants – Ils s’appellent Nazaire et Sie. Ils sont jeunes et font partie de ces Ivoiriens de retour dans leur pays après avoir l’échec de leur installation en France. Avec le programme d’aide au retour volontaire mis en place par l’Office français d’immigration et d’intégration (Ofii), ils ont pu rentrer « dignement » et reprendre en main leur vie professionnelle. Reportage.
« D – pour Diomandé, S – pour Sie, P – pour Palm ». Sie n’est pas peu fier de nous montrer le fronton de son salon : DSP coiffure. « Il y a le prénom de ma mère, mon prénom et notre nom de famille », explique cet Ivoirien de 22 ans en nous faisant entrer dans le petit local. La pièce n’excède pas 10m2, mais elle fait toute sa fierté.
« Il y a ici un divan pour les gens qui attendent, un fauteuil pour installer un premier client et là, à gauche, je peux installer une deuxième personne », détaille-t-il. « Et ici, ce sont les étagères où trônent tous [mes] produits », des bouteilles d’eau oxygénée, ou encore les teintures « jaunes, orange, rose et vertes » pour les femmes qui viennent se faire coiffer.
Le jeune homme, au visage enfantin, éteint le soap ivoirien diffusé – au volume maximal – sur la télévision. « On aime bien les séries, ici, tout le monde regarde ». Les premiers clients ne sont pas encore arrivés. Sie paraît détendu. « Aujourd’hui, je travaille et je me sens bien. Je ne remercierai jamais assez l’Ofii de m’avoir aidé », enchaîne-t-il.
« Je pensais avoir une vie merveilleuse en France »
Il faut dire que l’histoire de Sie, qui a grandi dans la pauvreté, n’a pas de diplôme, n’a pas fait d’études supérieures dans un pays où le chômage tourne autour de 26%, aurait pu tourner bien différemment sans le coup de pouce de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).
Alors que son « visa long séjour » en France va bientôt expirer, le jeune homme qui avait rejoint son père via un regroupement familial en 2023, se retrouve à la porte du domicile familial, à Grigny, en région parisienne. « Mon père m’a viré de la maison. Je me suis retrouvé à la rue », dit-il – évoquant simplement un homme « agressif » et « maltraitant ». « J’étais seul là-bas. Et la France quand on ne la connaît pas, qu’on n’a pas de relations, c’est très dur ».
Grâce à une association, il entend parler de l’Ofii et de son programme de retour volontaire. Avant même de recevoir une Obligation de quitter le territoire français (OQTF), il demande à rentrer. « Ils m’ont fait revenir au pays et m’ont aidé à financer ce projet de salon à Abobo », un quartier populaire d’Abidjan où la concurrence est rude : des échoppes de coiffeurs – aussi petites que celles de Sie – sont visibles tous les 50 mètres.
« C’est vrai, il y a beaucoup de coiffeurs ici, mais moi, j’ai le talent », sourit-il. Le salon ouvre en décembre 2023. Sa tante, dont le domicile jouxte le salon, renchérit. « Je suis tellement fière de lui, merci de l’avoir lancé, merci de lui avoir donné sa chance », sourit Myriam – en expliquant donner à son neveu un coup de main de temps à autre. « Je lui apporte un seau d’eau pour rincer les cheveux des clients ».
Depuis un an, Sie évoque un business « qui marche bien ». Les week-ends, « je peux avoir 15 clients en une journée ». Une fois le loyer de son local payé, les produits achetés, il arrive donc à se dégager un salaire « pour aider [sa] mère qui ne travaille pas ». « Aujourd’hui, ça va, mais le retour n’a pas été simple à accepter », confesse-t-il. « Je pensais avoir une vie merveilleuse en France… »
De nouveaux profils de « retournés » traumatisés par la route migratoire
Adossé au mur du salon de DSP coiffure, Christophe Gontard, le directeur de l’Ofii à Abidjan pose un regard protecteur sur Sie. « C’est un jeune qui s’en sort bien », observe-t-il, assurant que ses équipes « le suivent régulièrement » pour que son « affaire continue de bien tourner ».
Depuis son installation en Côte d’Ivoire en juillet 2023, l’Ofii – qui dépend du ministère de l’Intérieur français – s’est occupé de 265 dossiers comme celui de Sie, dans la région (Bénin, Togo, Mali, Burkina Faso) dont 80 pour la seule Côte d’Ivoire.
Les Ivoiriens figurent dans le top 10 des demandeurs d’asile en France, or beaucoup voient leur dossier rejeté. L’objectif de l’Ofii à Abidjan est à peine voilé depuis Paris. « Faire baisser l’immigration irrégulière en France », soulignait Didier Leschi, le directeur général de l’instance, après l’inauguration en novembre des locaux ivoiriens. Et pour cela, miser sur le retour aidé qui coûte moins cher à la France que le retour forcé. « Il faut rendre le dispositif du retour volontaire plus attractif », avait même déclaré Pierre Moscovici, premier président de la cour des Comptes en avril 2024.
De son côté, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l’instance en charge des dossiers de protection internationale en France, indique que 8 000 nouvelles demandes d’Ivoiriens ont été déposées en 2024. C’est 1 000 de plus que l’année passée. Un chiffre qui augmente mais qui n’explose pas.
Ce qui change en revanche, ce sont les profils des « retournés », aussi appelés « maudits » dans leur pays, confesse Christophe Gontard. Les bénéficiaires ne sont plus tout à fait les mêmes qu’avant.
Charlotte Boitiaux, envoyée spéciale à Abidjan
Source : Info Migrants
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