Le Tchad tourne le dos à la France et se cherche de nouveaux partenaires

Le MondeDécryptageN’Djamena, qui a mis fin à la présence militaire française, se tourne vers d’autres partenaires, tels la Chine, les Emirats arabes unis, la Turquie ou la Russie pour nouer des accords commerciaux et sécuritaires.

Les sièges des invités ont été alignés, les réglages de la sono ajustés. Sur la grande tente dressée pour l’occasion sont retouchés de derniers morceaux d’étoffes bleu, jaune et rouge : les couleurs du drapeau tchadien. Dans la tribune présidentielle, des bouquets de fleurs sont disposés, un pupitre aux armoiries de la République est installé.

Vendredi 31 janvier, en début de matinée, l’heure est aux ultimes préparatifs sur le tarmac de la base aérienne Adji-Kosseï, qui jouxte celui de l’aéroport de N’Djamena. Dans quelques instants doit s’y tenir la cérémonie de rétrocession aux autorités tchadiennes de ce qui était, avec son millier d’hommes et ses Mirage 2000D, l’une des plus importantes emprises militaires françaises en Afrique. Un moment historique que le président tchadien, Mahamat Idriss Déby, entend célébrer en grande pompe pour mieux le graver dans le récit national.

Sur les coups de 10 heures du matin déboule une cohorte de pick-up, sur lesquels sont juchés des militaires, suivis par de rutilants 4 × 4 blindés. L’un d’eux s’arrête au bout du tapis rouge. Le chef de l’Etat, boubou et calot blanc sur la tête, en descend et passe lentement les troupes en revue au son de la fanfare. Son père, Idriss Déby Itno – auquel il a succédé lorsque celui-ci est mort, le 20 avril 2021 –, était l’un des plus solides alliés de Paris sur le continent africain. Lui est celui qui, après plus d’un siècle de présence de soldats français dans son pays, leur a fait replier leur paquetage.

A la tribune, Mahamat Idriss Déby évoque un « jour exceptionnel dans la marche » du Tchad, désormais « entièrement souverain et résolu à assumer son destin ». L’assemblée, composée des dignitaires du pays, se lève et applaudit. Le général devenu président triomphe. Elu en mai 2024, après une transition de trois ans, celui qui s’est autoproclamé « maréchal du Tchad » – le titre honorifique que portait son père – et concentre les pouvoirs vient de s’adjuger une éclatante victoire politique.

 

Du haut de ses 40 ans, Mahamat Idriss Déby se pose en héraut du souverainisme africain. Pas aussi radical que les militaires putschistes sahéliens au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger, mais suffisamment tranchant pour apparaître, lui aussi, capable de tordre le bras de l’ancienne puissance coloniale et de la sommer de traiter son pays « d’égal à égal ».

Après s’être offert un bain de foule, il s’attarde un instant, puis repart en majesté, reprenant la gestuelle paternelle avec sa canne de maréchal brandie en l’air. « Il était aux anges. Il aurait voulu que ce moment se prolonge », déclare un de ses proches.

Un nouveau revers

 

La veille, une première cérémonie, plus sobre, s’était tenue à l’abri des regards, entre militaires tchadiens et français. Après une remise symbolique des clés de la base Adji-Kosseï par le général Pascal Ianni, chef du commandement militaire pour l’Afrique, au général Abakar Abdelkerim Daoud, chef d’état-major général des armées tchadiennes, les derniers soldats français encore présents sur place avaient chanté une dernière Marseillaise, baissé le drapeau tricolore, puis embarqué dans un A400M à destination de la France.

Pour Paris, c’est un nouveau revers. Après avoir été contrainte de quitter le Mali en 2022, puis le Burkina Faso et le Niger en 2023, l’armée française est renvoyée de sa base permanente au Tchad. De même a-t-elle dû, depuis, quitter la Côte d’Ivoire – le 20 février – et s’apprête à faire de même au Sénégal d’ici à la fin septembre. Le coup est d’autant plus rude que le Tchad, éminemment stratégique de par sa situation géographique au cœur du continent, était considéré par les militaires français comme l’une de leurs places fortes en Afrique depuis que les troupes coloniales ont fondé Fort-Lamy, l’ancienne N’Djamena, sur les bords du fleuve Chari, en 1900.

« Une relation spéciale nous unit », reconnaissait un officier français au moment de quitter le Tchad, rappelant que, de l’épopée saharienne de la colonne Leclerc durant la seconde guerre mondiale à l’opération « Serval », au Mali, en 2013, les soldats des deux pays avaient régulièrement combattu côte à côte.

Au fil des décennies, Paris a aussi défendu les différents pouvoirs qui se sont succédé à la tête du Tchad, quitte à engager plusieurs opérations extérieures (« Tacaud », entre 1978 et 1980, « Manta », entre 1983 et 1984, « Epervier », entre 1986 et 2014…) pour les protéger contre des rébellions venues de la Libye ou du Soudan voisins.

Militaires tchadiens et français ont beau rappeler d’une même voix que le départ des seconds s’est fait « en bon ordre et en bonne coordination », il n’en demeure pas moins qu’il a été précipité par une décision unilatérale de Mahamat Idriss Déby, qui a surpris autant en France qu’au Tchad. Le 28 novembre 2024, le jet de Jean-Noël Barrot, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères français, vient à peine de redécoller de N’Djamena que les autorités tchadiennes publient un communiqué annonçant une rupture de leurs accords de défense avec Paris.

 

Lire la suite

 

 

 

 

 (N’Djamena, Tchad, envoyé spécial)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile