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Burkina Faso, ne vivent pas, elles survivent. Perçues comme dangereuses, elles ne doivent leur salut qu’à la générosité de sœurs catholiques qui les accueillent et les nourrissent.
– Esseulées, marginalisées, rejetées par leur communauté, leur mari ou leurs coépouses car accusées de pratiquer la sorcellerie, les « dévoreuses d’âmes » du plateau mossi, dans le centre duJusqu’au 15 mars, Nyaba Léon Ouédraogo présente son travail photographique centré sur ces femmes, projet initié par le Musée du quai Branly Jacques-Chirac de Paris lors d’une résidence artistique en 2013, « Photoquai, ce qui change, ce qui se transforme, ce qui reste », et présenté pour la première fois en galerie à Paris, celle de Christophe Person.
« Dualité entre le visible et l’invisible »
Né en 1978 dans le village de Bouyounou (Centre-Ouest), l’artiste burkinabé, lui-même mossi, entend parler pour la première fois, grâce à sa maman, de l’existence de ces femmes dès l’âge de 5 ou 6 ans. A 11 ans, il est confronté à la mort de l’un de ses meilleurs amis et découvre alors au sein même de son entourage cette croyance collective et ce délaissement social : « Dans une société pleine de tabous, elles occupent une place de second rang, perdent leur beauté et leur dignité très tôt, et portent ce lourd héritage [de sorcellerie]. »
Afin de redonner à ces personnes une certaine fierté, le photographe opte pour des portraits en diptyques, dont dix sont présentés : à gauche « au naturel », à droite « idéalisé ». Il aura fallu trois mois de négociations et une année de travail pour « mettre en place le projet », explique l’artiste : « Il a été difficile pour moi de convaincre ces femmes de poser, d’être maquillées et d’être habillées d’une façon particulière pour la seconde partie du diptyque. Et puis j’étais partagé entre compassion à leur égard et colère à l’encontre de cette société mossi qui abandonne ses mères, ses sœurs, ses filles. »
Christophe Person, qui connaît Nyaba Léon Ouédraogo depuis une dizaine d’années et a créé avec lui la Biennale internationale de sculpture de Ouagadougou (BISO) en 2019, souligne que « l’approche en deux parties s’inscrit pleinement dans la logique de [son] travail. Il est intéressé par la dualité entre le visible et l’invisible et sa quête pour le révéler. L’approche sérielle est aussi typique de ses réalisations. A la manière d’un scientifique en sciences dures, il répète l’expérience ».
Selon Julien Bondaz, maître de conférences en anthropologie à l’université Lumière-Lyon-II, « cette sorcellerie est parfois appelée anthropophage. Il s’agit non pas de jeter des sorts – sorcellerie dite instrumentale –, mais de dévorer l’énergie vitale d’autrui, “siiga” en mooré, la langue des Mossi. Il est difficile de parler ici de maléfices lancés par de supposés sorciers. Ces femmes se voient attribuer un rôle de “dévoreuses d’âmes” dans le cas de morts suspectes, des décès jugés anormaux, notamment ceux de personnes jeunes ou d’enfants ».
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