Courrier international  – “Si l’homme s’est éteint, ses images, elles, ne cesseront jamais d’exister, de résonner.” Souleymane Cissé, grande figure du cinéma malien et africain, est mort le 19 février. Comme d’autres médias du continent, le site marocain Le Desk rend un vibrant hommage à un “pionnier et poète de l’image”, un immense “visionnaire”. Il avait 84 ans.

“Plus qu’un cinéaste, il était un éclaireur, un conteur d’une Afrique en mutation, un artisan de la mémoire collective”, écrit la publication, installée à Casablanca.

“Son œuvre, à la fois intime et universelle, a su marier la cosmogonie africaine à la rigueur du langage cinématographique, imposant à l’écran une écriture aussi sensorielle que spirituelle.”

Un témoin de la complexité du réel

Souleymane Cissé est né en 1940 à Bamako, la capitale du Mali. Il grandit “dans une Afrique en pleine lutte pour son indépendance”, et son choix de devenir cinéaste est d’emblée “une vocation politique autant qu’artistique”, rappelle Le Desk. En pleine guerre froide, il est l’un des premiers réalisateurs africains à être formé à Moscou, à l’Institut des hautes études cinématographiques. Ce parcours “forge son sens du cadre, sa précision narrative et son goût pour une esthétique réaliste imprégnée de symbolisme”.

Son premier long-métrage, La Jeune Fille (1975), met en scène une jeune femme muette qui tombe enceinte après un viol. Ce plaidoyer pour les filles-mères, plein de “tendresse douloureuse”, est censuré par le gouvernement malien, mais impose Souleymane Cissé comme “un cinéaste de la confrontation, un témoin du réel refusant d’en masquer la complexité”, poursuit le site marocain.

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S’il ne fallait citer qu’un seul de ses autres longs-métrages, ce serait Yeleen, sorti en 1987, le film de la consécration. Ce “film solaire”, “tel un mythe africain sublimé”, emprunte à la cosmogonie bambara pour raconter le périple d’un jeune homme qui tente d’échapper aux foudres de son père sorcier, résume Le Desk. Qui ajoute :

Yeleen [a] fait entrer le cinéma africain dans une nouvelle ère, prouvant que l’Afrique pouvait s’emparer du langage cinématographique avec ses propres mythes, ses propres images, sa propre grammaire du sacré.”

Un héritage inoubliable

“Jusqu’à la fin de sa vie, Souleymane Cissé a défendu le cinéma africain comme outil de transmission et de résistance”, et s’est battu à la tête de l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma africain “pour que les voix du continent trouvent leurs espaces de diffusion”, à une époque où elles “pein[aient] encore à exister sur le marché mondial”, ajoute le site marocain.

Multiprimé, fêté dans les plus grands festivals, Souleymane Cissé a influencé toute une génération de réalisateurs africains, incluant le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun et le Mauritanien Abderrahmane Sissako (tous deux nés en 1961), note encore le média. “Son regard lucide et poétique a réconcilié l’Afrique avec son propre imaginaire cinématographique. Il nous laisse une œuvre immense, des récits de lutte et de lumière, une leçon de dignité.”