La grande solitude de Volodymyr Zelensky

Le coup de force diplomatique de Donald Trump a surpris un président ukrainien critiqué ces dernières semaines dans son pays après une série de faux pas et « brûlé » de fatigue par trois ans de guerre.

Le Monde – En noir, des pieds à la tête. C’est ainsi que Volodymyr Zelensky est arrivé puis reparti de la Conférence sur la sécurité qui s’est tenue à Munich, en Allemagne, du vendredi 14 au dimanche 16 février. Après le tee-shirt kaki, le polo sombre et la mine assortie sont l’autre uniforme du « résistant de Kiev » depuis que, le 24 février 2022, la Russie a envahi l’Ukraine et le président a choisi de rester dans la capitale.

Ce 14 février, la presse ukrainienne et les spécialistes de géopolitique ont surtout noté l’autre symbole de ce « Munich II » : « Quand vous commencez à régler le sort d’un pays sans la présence de ce pays et sans l’avoir lui-même consulté, a résumé l’expert en relations internationales François Heisbourg, ça s’appelle la conférence de Munich, version 1938. » Cette année-là, avaient été scellés des accords permettant à l’Allemagne nazie d’annexer en Tchécoslovaquie des territoires peuplés d’Allemands, les prémices de la seconde guerre mondiale.

« Ce n’est vraiment pas très agréable », avait lâché Volodymyr Zelensky, la veille, pour commenter la catastrophe diplomatique déclenchée par le coup de fil de quatre-vingt-dix minutes passé le 12 février par le président américain, Donald Trump, à son homologue russe, Vladimir Poutine, avant tout contact avec l’Ukraine.

Un euphémisme vite abandonné devant le public américain de la chaîne NBC. « L’Ukraine a peu de chances de survivre sans le soutien des Etats-Unis », a expliqué, ce week-end, le président Zelensky. Un soutien qu’il était allé chercher avec les dents dès l’élection de Donald Trump, en novembre 2024, ne ménageant aucune flatterie ni aucun argument, jusqu’à réfléchir à acheter les droits de traduction en ukrainien des Mémoires de Melania Trump, épouse du président américain, a raconté le New York Times.

« Avant que le reste du monde ne nous enterre définitivement… », ironisent depuis quelques jours les Ukrainiens dans leurs posts sur les réseaux sociaux. « Il faut sourire, tant qu’on en a encore le temps », a glissé de son côté Volodymyr Zelensky à Munich.

 

Avec lui, le comique sert aussi à exorciser le tragique, et, en Allemagne, le chef d’Etat n’a pas résisté à confier à l’assistance une anecdote très dans son style. Comme au bon vieux temps du Kvartal 95, sa société de production, et des shows télévisés à succès de sa troupe, il a rapporté que, après son interminable conversation avec Vladimir Poutine, Donald Trump lui avait enfin téléphoné et avait glissé avant de raccrocher : « Tu m’appelles quand tu veux ! » Même formule, un coup de fil plus tard, à la veille du rendez-vous allemand. « Vous m’avez dit la même chose la dernière fois, mais vous ne m’avez pas donné votre numéro de téléphone », a répliqué puis raconté le président ukrainien en forçant son talent et son humeur.

A Kiev, Volodymyr Zelensky enchaîne les controverses

 

Signe de fatigue, de fébrilité ou d’un tempérament, Volodymyr Zelensky vient d’enchaîner à Kiev une kyrielle de faux pas, ressuscitant les critiques sur son exercice du pouvoir. Il y a d’abord sa gestion des militaires, depuis un an. Dernière polémique en date : l’affaire du lieutenant général Serhi Naïev, un commandant à la tête des forces conjointes de l’armée depuis 2020 et remercié il y a un an sans ménagement. Depuis, il était en réserve du ministère de la défense, sans affectation précise, et, le 10 février, il a pris la liberté de détailler, lors d’un entretien à l’influent média en ligne Ukraïnska Pravda, l’impréparation de l’armée en février 2022 et la responsabilité du pouvoir, déplorant au passage que trois commandants soient accusés de n’avoir pas su défendre la région de Kharkiv, en mai 2024. « Il est inacceptable que des procès de chefs militaires soient lancés pendant la guerre », s’indigne ce haut gradé consacré il y a deux ans « héros de l’Ukraine ».

La réponse ne s’est pas fait attendre : le lieutenant général vient de recevoir l’ordre de quitter Kiev pour prendre le commandement d’un simple groupe tactique dans l’une des zones les plus chaudes de la région de Donetsk, dans l’est du pays.

L’épisode a rappelé un mauvais souvenir à beaucoup d’Ukrainiens : celui d’un autre héros, Valeri Zaloujny, ancien commandant en chef des forces armées, général de 51 ans objet d’un véritable culte dans le pays, et limogé lui aussi en février 2024. Volodymyr Zelensky a toujours vu en lui un adversaire politique, voire un présidentiable. De fait, la cote de popularité du militaire – la plus haute du pays dans les sondages – ne s’est jamais tassée. Et depuis l’ambassade d’Ukraine, à Londres, où le président l’a envoyé, Zaloujny continue de livrer librement des chroniques sur le conflit en cours. Il vient aussi de publier My War (« ma guerre »), premier d’une série de trois livres consacrés à sa vie, tandis que sa biographie, écrite par son ancienne porte-parole, est en tête de gondole dans les stations-service du pays.

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  (Kiev, envoyée spéciale) et  (Kiev, correspondant)

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

 

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