Le griot, lien de nos identités et mémoires /Par Mamadou Oumar Kamara

Le Soleil – «Le griot est celui qui dessine la marche pendant que le noble la domine. Il est derrière pour revigorer et enseigner l’Histoire. En cas de combats, il est aux avant-postes pour guider et pour éclairer sur les principes. Dans ce rôle, seule la mort doit faire obstacle ». Ces mots sont du griot et généalogiste majeur, Samba Diabaré Samb (dans le documentaire « Samba Diabaré Samb, le gardien du temple » de Laurence Gavron, 2006).

Ce caractère, Ndiaga Mbaye en avait élégamment fait sien. Aujourd’hui, 13 février 2025, 20e anniversaire de son décès à 57 ans, il aurait eu 77 ans. Il semblait déjà avoir cet âge en 2005, tant il avait pleinement embrassé la sagesse du sophos et s’inscrivait dans la lignée des grands maîtres. Que Ndiaga Mbaye soit reconnu par excellence comme le parolier de l’histoire musicale sénégalaise est une évidence. Cette identité n’est pas usurpée. Sans ne jamais s’ériger en moralisateur, Ndiaga Mbaye a toujours écrit des textes qui éduquent et orientent la société. Il était d’autant plus percutant dans ce registre qu’il apparaît au public sénégalais dans un moment de jonction décisif, dans la période post-Mai-68. Il rompait avec une tradition de griots presque exclusivement versés dans le laudatif.

Le philosophe Hamidou Dia l’explique : Ndiaga Mbaye s’est tout de suite affirmé en tant qu’observateur critique de sa société, alors qu’on connaissait deux types de griots. D’une part, les historiens et généalogistes, de l’autre ceux qui sont affiliés et célèbrent la gloire de leur noble identifié. Ndiaga Mbaye marque donc un tournant dans ce qui était improprement appelé le folklore traditionnel. N’est-ce pas lui qui s’insurgeait contre les intrus du griotisme, seulement obnubilés par l’argent, qui narguent par leur cupidité le patrimoine, la noblesse et le legs d’une communauté ? Même pour chanter un individu, Ndiaga Mbaye écrivait de sorte à mettre en exergue les « jikko » (vertus). Philosophe affirmé, il s’adressait à la mémoire collective dans un style sobre, respectueux, auguste.

C’est ainsi que le Sénégal en faisait et en fait encore un conseiller. Il s’adressait souvent à son peuple par des émissions thématiques sur la Radio nationale et sur Sud Fm. Ndiaga Mbaye savait « faire communauté ». Il en faisait un sacerdoce. Réécoutez « Xaajalo », qui est aussi un hymne à la panafricanité, ou « Diamono ». Les textes du maître sont de la haute couture. Ils se tissaient avec les fils de la bienveillance, de la spiritualité, du charme, de l’humanisme, de la vérité surtout, avec toujours une importante charge de sens et une beauté sans pareille. Il a brillamment actualisé le genre épique. Le poète Thierno Seydou Sall célèbre Ndiaga, « un homme fascinant » dont les textes ont une valeur linguistique à écouter avec intérêt et émotion.

Le poète s’émeut que Ndiaga ait intelligemment sublimé le wolof dans son œuvre, en langue comme en poésie, et ait classé cette langue dans l’étude scientifique. Ndiaga accordait grand soin à la parole. C’est ce qui en fait essentiellement le griot, le maître de la parole (titre du film documentaire de Laurence Gavron et Hamidou Dia consacré à Ndiaga Mbaye, 2001). La parole, « attribut le plus essentiel du griot » (Sory Camara, in « Gens de la parole », 1976). En Afrique noire, où la littérature était orale avant l’occupation coloniale, les griots étaient porteurs de la parole (Kibalabala N’sele, 1986). Leurs instruments, dont la voix, servaient à préserver nos imaginaires et nos identités.

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Mamadou Oumar Kamara

 

 

 

Source : Le Soleil (Sénégal)

 

 

 

 

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