Afrique XXI – Justice · Détenue en Italie puis en Belgique pendant près de sept mois, la chanteuse est engagée depuis 2019 dans une bataille judiciaire avec son ex-conjoint belge pour la garde de leur fille. Le feuilleton semble approcher de sa conclusion : le 22 janvier, le tribunal correctionnel de Bruxelles a prononcé sa libération à la suite d’un accord à « l’amiable ».
Des plus grandes scènes musicales du monde, qu’elle a sillonnées pendant plus de deux décennies, à l’austérité des prisons italiennes et belges, la chanteuse malienne Rokia Traoré a vu son monde s’effondrer. Après plus de six mois en détention entre Rome et Bruxelles, elle a finalement été libérée mercredi 22 janvier. Depuis plusieurs années, une procédure judiciaire l’oppose, pour la garde de leur fille, à son ex-conjoint, le metteur en scène belge Jan Goossens, ancien directeur du Théâtre royal flamand de Bruxelles, avec qui elle a été en couple de 2013 à 2018. Il l’accuse de l’avoir empêché de voir sa fille depuis leur séparation ; de son côté, elle soutient avoir élevé seule son enfant à Bamako et avoir invité le père à plusieurs reprises.
Cette affaire, qui aurait pu rester privée, a été d’autant plus médiatisée qu’aux soutiens de longue date de la chanteuse se sont récemment ajoutées de nouvelles personnalités artistiques africaines. Au début du mois de janvier, treize musiciens se sont réunis autour d’un album sobrement intitulé Support Rokia Traoré. Des instrumentistes maliens Bassekou Kouyaté et Mamadou Diabaté aux stars sénégalaises Youssou Ndour et Daara J Family, en passant par les guitaristes-chanteurs nigérians Nneka et Keziah Jones, chaque morceau est une ode au combat et à la liberté. Le refrain du musicien folk sénégalais Dady Thioune dans Fi la bok entonne en boucle : « Je suis d’ici et j’y appartiens. Et toi, d’où viens-tu ? Nous appartenons tous à cette Terre que nous partageons » (« Fii laa bokk, fee laa book. Fan nga bokk ? Ñun ñépp fu ñu bokk », en wolof).
Une déchirure familiale surmédiatisée
Comme c’est souvent le cas, chacun des protagonistes est conforté dans sa position par la justice de son pays. Alors que le Mali a attribué en référé la garde exclusive de l’enfant à la mère en 2019, la Belgique a, de son côté, pris une décision contraire la même année. En octobre 2019, Bruxelles émet un mandat d’arrêt européen contre l’artiste, qui vit à Bamako, pour « enlèvement, séquestration et prise d’otage ». Pour l’avocat du père, la décision malienne ne serait qu’une « ordonnance temporaire » accordée sans respecter les droits de la défense.
En mars 2020, alors qu’elle se rend en France pour faire appel du jugement belge, Rokia Traoré est arrêtée à l’aéroport de Roissy. Placée en garde à vue, elle entame une grève de la faim, dénonçant une situation qu’elle présente comme la « prise en otage » de sa carrière internationale. Sa détention suscite une vague de soutiens : un ensemble de personnalités – du sociologue Edgard Morin en passant par l’acteur Omar Sy, l’autrice Annie Ernaux ou encore le philosophe Souleymane Bachir Diagne – appellent à sa libération immédiate et affirment qu’il « est inacceptable qu’une enfant de 5 ans soit privée de sa mère au motif que celle-ci a obéi à une convocation de justice. Il est inacceptable que la France, qui se targue d’être le pays des droits de l’homme, bafoue à ce point ceux des femmes ».
Deux semaines après son arrestation, la justice française libère Rokia Traoré, en lui interdisant de quitter le territoire. Contournant cette restriction, elle prend un vol pour Bamako. « Je suis choquée que puisse être utilisé ainsi contre moi le mandat d’arrêt européen comme méthode de chantage », déclare-t-elle dans la foulée. L’avocat de Jan Goossens estime1, pour sa part, que son client « a une volonté de voir son enfant pendant les vacances scolaires : dire qu’il a voulu se l’accaparer et la séparer de sa mère est, une fois de plus, un mensonge ».
« Depuis cinq ans, je suis terrorisée »
De retour à Bamako, l’artiste voit ses déplacements limités par la justice belge. Sa carrière est mise entre parenthèses. En octobre 2023 tombe une nouvelle décision : la voilà condamnée par le tribunal correctionnel de Bruxelles à deux ans de prison pour « séquestration » et « non-représentation d’enfant ». Elle est jugée par défaut, assurant ne pas avoir été informée du procès.
Alors qu’elle commence à reprendre ses concerts hors du Mali au printemps 2024, la musicienne est programmée en Italie. Mais à son arrivée à Rome, elle est de nouveau arrêtée : à la présentation de son passeport français à la douane (elle dispose de la double nationalité malienne-française), le mandat d’arrêt européen refait surface. Elle est incarcérée pendant plus de cinq mois dans la capitale italienne, jusqu’à son extradition vers la Belgique fin novembre 2024. Jusqu’au 22 janvier, elle était détenue à la prison de Haren, à Bruxelles.
Florian Bobin est étudiant-chercheur en histoire à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar
Source : Afrique XXI
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