M Le Mag – Portrait – Le grand public français l’a découverte lors de la réouverture de Notre-Dame de Paris dans une interprétation d’« Amazing Grace ». Pretty Yende est une des cantatrices les plus en vue de la scène lyrique mondiale. Née pendant l’apartheid, la Sud-Africaine est devenue un symbole de la diversité à l’opéra.
La scène se passe un jour de 2001 en Afrique du Sud. Dans le township qui jouxte la petite ville de Piet Retief, dans l’est du pays, la famille Yende, qui compte quatre enfants, regarde un feuilleton à la télévision. Au moment de la pause publicitaire est diffusé un spot pour la compagnie aérienne British Airways. La bande-son est un air, Le Duo des fleurs, issu de l’opéra Lakmé, composé par Léo Delibes en 1883.
L’aînée de la fratrie, Pretty, 16 ans, est fascinée. Depuis l’enfance, elle chante dans sa langue natale, le zoulou, à l’église tous les dimanches. Mais ces sons lui paraissent surnaturels. Le lendemain, le chef de la chorale de son lycée lui explique qu’il s’agit d’un air d’opéra. Ces voix extraordinaires sont donc humaines.
La jeune fille s’apprêtait à se lancer dans des études de comptabilité, pour pouvoir avoir une vie meilleure et aider sa famille. Elle deviendra chanteuse d’opéra. « Ces dix secondes ont changé ma vie », dit aujourd’hui Pretty Yende. Récemment, elle a retrouvé la publicité en question, où deux personnes se rencontrent par hasard dans un aéroport. « C’est ce qu’il s’est passé. J’ai rencontré mon destin à ce moment. »
Dix secondes qui ont changé sa vie
Ce jour de début janvier, elle est assise dans un café près du Théâtre national de Bavière, à Munich. La veille, elle a chanté le premier rôle de La Fille du régiment, de Donizetti, et la salle l’a applaudie longuement. Elle vient de parler de son métier, de la discipline nécessaire, de l’Afrique du Sud, des films qu’elle aime, des heures passées à cuisiner, qui la détendent, des églises et des musées qu’elle visite pendant les jours de repos dans les villes où elle se produit. Et puis, soudain, elle revient à ce moment décisif et répète, émue et concentrée : « Dix secondes. »
Dix secondes, donc, qui ont fait d’elle l’une des sopranos les plus recherchées du moment. « Une virtuose qui peut tout faire », selon l’Anglais Oliver Mears, qui la met en scène dans Semele, opéra de Haendel, au Théâtre des Champs-Elysées (Paris 8e) du 6 au 15 février. « Une très grande interprète, capable de transmettre mille émotions au public », se réjouit le Français Vincent Huguet, qui l’a dirigée dans Manon, de Massenet, à l’Opéra-Bastille en 2020.
Dix secondes qui l’ont conduite à chanter Puccini, Rossini, Donizetti, Gounod, Bizet, Mozart ou Verdi partout dans le monde, qui l’amèneront, les six prochains mois, à Budapest, Barcelone, Madrid, Dresde, Naples, Dortmund. Et Paris à nouveau le 8 juin, au Théâtre des Champs-Elysées pour un récital de morceaux issus de comédies musicales.
Dix secondes grâce auxquelles elle s’est produite, le 6 mai 2023, à l’abbaye de Westminster pour le couronnement de Charles III, à la demande expresse de ce dernier, grand admirateur. Et, le 7 décembre, à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris, pour interpréter le cantique Amazing Grace. Ce soir-là, elle était face aux chefs d’Etat du monde entier. Cette chrétienne pratiquante dit s’être sentie « comme la petite fille qui chantait tous les dimanches à l’église du township ».
Célèbres pionnières
« Pretty met la musique plus haut que tout, affirme Ilias Tzempetonidis, directeur de casting au Teatro San Carlo de Naples. Ce n’est pas de la candeur ni de la naïveté, mais elle sait que rien n’a davantage d’importance. » Celui qui est un proche depuis ses débuts ajoute : « Comme les très grands, Maria Callas ou Luciano Pavarotti, elle a la capacité de contrôler le moment. Quand on la voit arriver sur une scène, seule importe sa grâce. »
Mais Pretty Yende est aussi un symbole. Elle est une diva noire, née en 1985 pendant l’apartheid. Dans le monde très policé de l’opéra, c’est une anomalie. Elle le sait. La veille, le public du Théâtre national de Bavière était intégralement blanc. Elle a l’habitude. Où qu’elle joue, la salle est homogène, un peu moins à New York ou à Londres, mais tout de même.
Elle n’est pas la première diva noire de l’histoire. Loin de là. Depuis le début du XXᵉ siècle, particulièrement aux Etats-Unis, des artistes lyriques afro-descendants se sont imposés sur les scènes, avant même la fin de la ségrégation. Parmi ces pionnières, Marian Anderson, virtuose dont la vie fut marquée par des épisodes racistes et qui fut, en 1955, la première artiste noire à chanter sur la scène du Metropolitan new-yorkais.
Mais aussi la légende Leontyne Price (97 ans), qui impressionna le monde lyrique à partir des années 1950 et fit la tournée des salles européennes, rivalisant avec Maria Callas ou Montserrat Caballé. Ou encore Jessye Norman (disparue en 2019), surnommée « Just Enormous » par ses admirateurs en raison de son talent exceptionnel, l’interprète de La Marseillaise lors de la cérémonie du bicentenaire de la Révolution française à Paris, en 1989, personnalité brillante dotée d’une culture musicale rare, grande lectrice de l’écrivaine Toni Morrison ou de la poétesse Maya Angelou… Et puis Barbara Hendricks qui, à 76 ans, continue de se produire à travers le monde.
Pretty Yende à Paris, le 12 janvier 2025.
Pretty Yende suit cette voie, « avec fierté », revendique-t-elle. Toutes ont marqué les esprits sur scène, pavé le chemin pour les générations suivantes. Et toutes, en dépit de leur gloire, ont subi le racisme. Leur cadette sud-africaine ne fait pas exception. En juin 2021, elle a accusé sur les réseaux sociaux la police des frontières françaises de l’avoir brutalisée, traitée comme une criminelle et d’avoir fait preuve à son égard d’un comportement relevant de la discrimination raciale à l’aéroport Roissy – Charles-de-Gaulle. Son permis de séjour italien ne semblait pas suffire aux policiers qui la soupçonnaient de ne pas avoir de papiers en règle, alors même qu’elle l’utilise pour voyager dans toute l’Europe.
Quelques phrases en zoulou
« Le sujet est clos », assure cette amoureuse de la France, « ce pays qui met l’art plus haut que tout », préférant ouvrir la question de la diversité à l’opéra. Pour elle, « le public est prêt ». Elle en a eu la preuve en 2019, au Metropolitan, à New York. Elle est sur scène dans une production précédente de La Fille du régiment, de Donizetti. Dans un court monologue parlé, souvent laissé à la libre interprétation des chanteurs, elle délivre quelques phrases en zoulou. Les « clics » de son idiome natal, ces sons produits avec la langue et qu’on ne trouve qu’en Afrique australe, ravissent le public. Si elle assure qu’il n’y avait « rien de politique dans la démarche, mais tout d’instinctif », les applaudissements de ce public new-yorkais qui, « au fil des années, a transformé [sa] carrière », l’ont ravie.
Source : M Le Mag
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