Le projet de loi modifiant certaines dispositions de l’ordonnance n° 91-024 du 25 juillet 1991 relatives à l’encadrement des partis politiques en Mauritanie constitue une étape majeure dans la structuration du paysage politique du pays. Cette réforme met en avant des ambitions de modernisation et de rationalisation du paysage politique partisan. Elle suscite pourtant plusieurs craintes au sein des oppositions et de la société civile. Pour le gouvernement de Ould Njay, ce texte participe à l’assainissement de la vie politique. La première version de cette réforme parvenue au grand public tel un concept passé au crible de la fenêtre d’Overton, suscite de multiples points d’orgue dans les débats publics. En somme, le projet de loi introduit des exigences nouvelles pour la création, le fonctionnement et la pérennité des formations politiques partisanes.
Les partis de l’opposition ont déjà annoncé qu’ils voyaient dans cette loi une manière pour le pouvoir en place de les contrôler et de réduire leur force.
Dans les développements à venir, cette note se propose d’explorer les implications juridiques de ladite réforme tout en soulignant les défis qu’elle pose au pluralisme et à l’inclusion démocratique. Est-elle conforme aux principes fondamentaux garantissant la diversité politique, la liberté d’association et le respect de l’esprit démocratique dans son ensemble ?
Parmi les dispositions phares du projet de loi, les partis devront désormais justifier au moins 150 membres fondateurs (au lieu de 50 actuellement) issus de toutes les wilayas et recueillir 5 000 parrainages répartis sur la moitié des wilayas, incluant 20 % de femmes parmi les signataires. Ils seront également, au terme de ce projet de loi, tenus d’ouvrir des permanences dans la moitié des wilayas dans les six mois suivant leur reconnaissance par le ministère de l’intérieur. L’accès au financement public est conditionné à l’obtention de 2 % des suffrages lors des élections municipales. Si ce seuil n’est pas atteint sur deux scrutins consécutifs, la dissolution du parti pourra être prononcée de plein droit. Aussi, le gouvernement pourra suspendre tout parti politique pour 90 jours ou simplement le dissoudre sans recours judiciaire ou procès contradictoire, en cas de manquement aux conditions de fonctionnement ou pour des motifs liés à « l’ordre public ».
Ces dispositions soulèvent des questionnements juridiques qu’on ne saurait ignorer, particulièrement au regard du respect des principes constitutionnels.
De « l’ordre public » :
Il s’agit une notion (concept) juridique très souvent invoquée pour justifier des restrictions à des droits fondamentaux comme la liberté d’association. Sa définition reste volontairement large dans les ordres juridiques étatiques. Elle est adaptable aux circonstances, ce qui peut ouvrir la voie à des interprétations arbitraires. « L’ordre public » recouvre généralement les notions de sécurité, de tranquillité et de moralité dans l’espace publique. En l’absence d’un consensus autour d’une définition claire pour le qualifier, il pourrait être utilisé pour étouffer des aspirations et expressions politiques légitimes, notamment celles jugées dissidentes.
En donnant au gouvernement un pouvoir de suspension ou de dissolution, sans possibilité de recours à une autorité judiciaire, cette disposition législative ouvre la voie à des abus et pourrait être facilement utilisée pour éliminer des opposants politiques sous le prétexte de préserver « l’ordre public ». Des précédents historiques dans la sous-région et à travers le monde démontrent que de tels moyens sont fréquemment mobilisés pour museler des partis alternatifs, surtout dans des contextes où la compétition politique est perçue comme une menace véritable pour le statu quo.
De la séparation des pouvoirs :
Nous pouvons nous accorder sur le fait que la démocratie érige le principe de la répartition équilibrée des pouvoirs comme pierre angulaire de son édifice. Ce principe nous enseigne que pour éviter les abus de pouvoir et préserver la liberté des citoyens, les fonctions législatives, exécutives et judiciaires doivent être exercées par des organes distincts de l’État, chacun contrôlant et limitant les actions des autres. Le pouvoir donné au gouvernement par ce texte de dissoudre n’importe quel parti, sans sommation ni sanction judiciaire particulière en amont, remet en question ce principe. Une telle disposition octroie à l’exécutif un pouvoir disproportionné de « vie ou de mort » sur ses opposants politiques. En permettant à l’État d’agir de manière unilatérale, ce projet de loi crée un déséquilibre institutionnel majeur. De plus, ce processus va à l’encontre des garanties fondamentales consacrées par l’État de droit, notamment le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire et de son domaine réservé. L’indépendance judiciaire est aussi et surtout un pilier sur lequel repose la confiance des citoyens dans les institutions. Si l’exécutif est libre de dissoudre des partis sans recours judiciaire possible, cela envoie un signal inquiétant quant à la neutralité des institutions républicaines.
De la liberté d’association :
Cette liberté, parmi d’autres, est un droit constitutionnel. Elle est d’ailleurs reconnue et proclamée par l’ensemble des chartes et conventions relatives aux droits humains auxquelles la Mauritanie est pays signataire. La liberté d’association est au cœur du pluralisme politique en démocratie. C’est à elle que nous devons la participation citoyenne au débat public.
Comme tout droit fondamental, cette liberté peut également faire l’objet de restrictions. Toute restriction à ce droit devrait faire l’objet d’un contrôle strict par une autorité indépendante (judiciaire), pour garantir qu’elle respecte bien les principes de « légalité », de « nécessité » et de « proportionnalité » dont le juge est habilité à apprécier dans ses qualifications.
En écartant l’intervention judiciaire, la réforme centralise indûment le pouvoir au sein de l’exécutif, ce qui constitue une violation des principes de séparation des pouvoirs.
Cette concentration de pouvoir devrait par conséquent être soumise à un contrôle de constitutionnalité, dans le cadre du contrôle a priori des lois organiques, que le juge constitutionnel mauritanien exerce seul et de plein droit.
Limiter l’expression de voix alternatives, en particulier celles venant de la société civile ou des groupes minoritaires réduira la qualité du débat démocratique voire la démocratie elle-même. Contrairement aux idées reçues, « la dictature de la majorité » est antinomique aux principes démocratiques.
Aboubacry Lam
(Reçu à Kassataya.com le 09 janvier 2025)
Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs. Elles ne reflètent en aucune manière la position de www.kassataya.com
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com