Les pérégrinations africaines de la dynastie Le Pen

Peste brune et continent noir (1)

Afrique XXI Série · Le Rassemblement national (ex-Front national) a une longue histoire avec l’Afrique. Son fondateur, Jean-Marie Le Pen, puis sa fille, Marine, ont tenté à plusieurs reprises de rendre visite à des chefs d’Etat africains — en vain, la plupart du temps. Rien de très surprenant : l’extrême droite française de l’après-guerre est intimement liée au continent et certaines de ses thèses y trouvent un écho favorable.

Longue de trois kilomètres et large de 65 mètres, la piste d’atterrissage est impeccable. Vue du ciel, elle semble avoir été tracée à la règle, d’un seul coup de crayon dans le sable. L’aérodrome d’Amdjarass, inauguré en 2013 mais toujours dans l’attente d’une homologation au niveau international, pourrait être considéré comme un mystère dans cette partie du Tchad, s’il n’avait pas été construit dans le fief d’Idriss Déby Itno, président de 1990 jusqu’à sa mort sur le champ de bataille, le 19 avril 2021. Féru d’aviation et lui-même pilote, l’autocrate, nommé maréchal huit mois avant son décès, effectuait de longs et fréquents séjours dans sa luxueuse résidence. Si bien que nombre de visiteurs officiels devaient s’y rendre pour un entretien. Même bref.

Par la route, relier Amdjarass depuis N’Djamena, la capitale, est interminable. Il ne faut qu’1 h 30 en jet privé. Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, s’y est plusieurs fois rendu. En mai 2019, son Falcon 7X avait d’ailleurs directement rejoint l’aérodrome d’Amdjarass depuis Paris. Le premier ministre Jean Castex en a lui aussi fait l’expérience, le 31 décembre 2020, dans le cadre d’un aller-retour express depuis la capitale tchadienne, où il était venu passer le réveillon avec les troupes de la force Barkhane.

Trois ans plus tôt, en mars 2017, c’est une autre figure politique française qui avait surpris tout le monde en se rendant dans le fief de Déby. Marine Le Pen, présidente du Front national (FN, renommé Rassemblement national, RN, en 2018), alors candidate pour la deuxième fois à l’élection présidentielle française, avait fait le crochet lors de son voyage de 48 heures dans le pays. À quelques jours du premier tour, elle était arrivée à N’Djamena dans un Falcon 900 loué à une compagnie privée. D’abord prévue au Palais présidentiel, l’entrevue avait été déplacée à Amdjarass. Elle avait alors fait appel à une autre société locale, RJM Aviation, pour rejoindre Déby à bord d’un Gulftream 3. Un petit détail qui a fait tiquer la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, chargée d’éplucher les dépenses des candidats, dans son avis rendu en décembre 2017. De fait, une partie du coût de ce premier et unique voyage officiel de Marine Le Pen en Afrique a été invalidée (un peu plus de 18 000 euros pour la location du Gulfstream). Louer un avion pour faire campagne auprès des troupes françaises, c’est une chose. Faire trois heures de jet privé pour serrer la main d’un président africain en est une autre.

« Nous parlons le même langage »

 

Aux dires de la candidate, interrogée sur France Bleu en juin 2018, elle a dû louer « au dernier moment » un second avion pour se rendre à Amdjarass « parce que le gouvernement français a fait pression sur la compagnie aérienne pour m’empêcher de rejoindre la résidence du président du Tchad ».

Lors de son séjour, Mme Le Pen s’est rendue à l’Assemblée nationale, a été reçue par la Première dame, Hinda Déby Itno (quatrième épouse du « maréchal-président »), a visité un hôpital… Puis elle a rencontré les miliaires français de l’opération Barkhane. Évidemment, elle n’a pas manqué de dénoncer la Françafrique… tout en courant après celui qui, arrivé et maintenu au pouvoir grâce à l’aide de Paris, était alors l’une des incarnations de ce système. « Nous parlons le même langage », a même estimé la patronne du FN. Comme l’a souligné le journal tchadien Alwihda, Le Pen et Déby ont effectivement au moins une idée en commun : le souverainisme monétaire. La première vilipende depuis des années l’euro et défend le retour au franc, quand le second, qui ne manquait pas une occasion de s’attaquer au franc CFA, prônait la création d’une monnaie nationale (sans jamais l’avoir mise en oeuvre). Un dossier toujours brûlant entre Paris et ses anciennes colonies.

Marine Le Pen et son entourage dans la résidence d’Idriss Déby Itno à Amdjarass le 21 mars 2017.
Compte Twitter Marine Le Pen

 

« Si je veux que l’Afrique soit la première des priorités internationales de la France, ce n’est ni par charité, ni par cupidité, a-t-elle également déclaré devant les députés tchadiens, c’est tout simplement parce que notre intérêt commun rencontre notre amitié réciproque. » Voilà pour le programme. Un discours que Le Pen voulait « fondateur ». « Elle était venue chercher le vote des militaires, chez qui elle a des sympathisants », croit savoir un membre de la communauté française au Tchad. « À ma connaissance, elle n’a rencontré officiellement aucun civil français », ajoute-t-il. Elle n’a pas non plus rencontré les représentants de la diplomatie hexagonale.

Les visites officielles du Front national en Afrique ont été rares. Beaucoup de tentatives ont échoué. Mais celles qui ont abouti ne sont pas passées inaperçues. Quel est, en effet, le sens de ces voyages alors que le parti d’extrême droite s’attaque régulièrement aux immigrés et aux musulmans en France, dont une grande partie vient justement de ce continent ?

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Michael Pauron

Journaliste passé par l’hebdomadaire Jeune Afrique, il a collaboré à divers journaux, dont Mediapart

Source : Afrique XXI – Le 22 février 2022)

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