Du jeune député poujadiste de 1956 au président d’honneur du Front national du début du XXIᵉ siècle, Jean-Marie Le Pen aura épousé toutes les vicissitudes de l’histoire de l’extrême droite française. Il est mort mardi 7 janvier, à l’âge de 96 ans. – Nécrologie –
Il est des événements politiques qui deviennent immédiatement de l’histoire. Le 21 avril 2002 est de ceux-là. Lors de cette élection présidentielle promise à la gauche et à Lionel Jospin, premier ministre sortant de cinq ans de cohabitation avec une droite rattrapée par les affaires, un « coup de tonnerre » survient. Jean-Marie Le Pen est qualifié au second tour. Il affrontera Jacques Chirac, président élu depuis 1995.
Le Pen le proscrit, l’extrémiste, qui dénonce depuis ses débuts en politique « les copains et les coquins » et la « bande des quatre », joue enfin dans la même cour qu’eux. C’est le couronnement d’une carrière politique commencée près d’un demi-siècle auparavant.
Le candidat d’extrême droite sera largement battu par Jacques Chirac (82,21 %, contre 17,79 %), après des manifestations quotidiennes contre le FN avec, en point d’orgue, un défilé du 1er-Mai qui réunira des foules immenses pour dire « non » à Le Pen. Le 21 avril est aussi le point de départ de la deuxième phase de croissance du FN qui aboutira, plus de vingt ans après, à voir cette formation devenir l’un des principaux partis du pays, sous le nom de Rassemblement national et sous la conduite stratégique de la fille de Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen.
Jean-Marie Le Pen est mort mardi 7 janvier, à Garches (Hauts-de-Seine), à l’âge de 96 ans. « Jean-Marie Le Pen, entouré des siens, a été rappelé à Dieu ce mardi à midi », selon un communiqué transmis par sa famille à l’Agence France-Presse. Il aura été l’homme qui a remis l’extrême droite au centre du jeu politique français. Quasiment disparue à la Libération, par le jeu de l’épuration, et discréditée par l’épisode de la collaboration et de Vichy, cette famille politique a retrouvé force, vigueur, longévité et assise populaire quarante après, quand le Front national, emmené par M. Le Pen, effectue ses premières percées, d’abord à Dreux, lors d’une élection municipale partielle en 1983, puis aux élections européennes de 1984.
Accents populistes
Pendant près de sept décennies, Jean-Marie Le Pen aura traversé la vie publique française avec une longévité que peu de personnes peuvent égaler. Il aura connu la IVe et la Ve République. Aura ferraillé contre Pierre Mendès France, Michel Rocard, François Mitterrand, Jacques Chirac ou encore Nicolas Sarkozy. Il aura aussi participé à deux guerres.
Elu député à 27 ans sous la bannière du parti de Pierre Poujade, son mentor, Le Pen aura toute sa vie évolué à l’extrême droite, jouant sur des accents populistes.
De gauche à droite : Jean-Marie Le Pen, Pierre Poujade et André Gayard, en janvier 1956.
Entre ces deux dates, son histoire personnelle se confond avec l’histoire de la « droite nationale » – qui, souvent, a flirté avec le racisme et l’antisémitisme – avec, comme paradigme, les guerres de la décolonisation.
L’histoire de Jean-Marie Le Pen n’en est, au fond, pas une. Elle est multiple. Du tout jeune parlementaire de 1956 au vieux dirigeant amateur de calembours du début du XXIe siècle, en passant par le para d’Algérie, Jean-Marie Le Pen aura épousé toutes les vicissitudes de l’histoire de l’extrême droite française. Près de soixante-dix ans de carrière politique ne se font pas sans changer de peau.
Né le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer (Morbihan), Jean Le Pen (il prendra le prénom Jean-Marie plus tard) est fils unique. Il connaît une enfance modeste. Il décrivait sa maison avec un « sol en terre battue ». Sa mère est très pieuse. Si Jean-Marie Le Pen fait ses premiers pas à l’école publique, il rentre en 1939 chez les jésuites à Vannes où il apprendra, notamment, la maîtrise de la rhétorique.
Le jeune Le Pen sera marqué par la mort, en août 1942, de son père marin-pêcheur à cause d’une mine marine. Les circonstances de sa mort sont floues. Certes, Jean Le Pen est « mort pour la France », mais, dans leur biographie de Jean-Marie Le Pen, véritable référence, Gilles Bresson et Christian Lionet (Le Pen. Biographie, Seuil, 1994), racontent que Jean Le Pen était sorti en mer pour ravitailler un restaurant où soupait l’occupant.
Le jeune Jean-Marie Le Pen devient, après la mort de son père, pupille de la nation. En novembre 1944, à 16 ans, il veut s’engager dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI), mais le colonel Henri de la Vaissière, alias Valin, refuse en lui disant : « Désormais, ordre est donné de s’assurer que nos volontaires ont bien 18 ans révolus. Tu es pupille de la nation : songe à ta mère. » En 1946, il est exclu de son lycée breton. Il part en région parisienne, décroche son bac et se lance dans des études de droit. Problème : il est sans le sou et doit travailler. Cette jeunesse, marquée par la pauvreté et l’absence du père, Jean-Marie Le Pen la racontera dans ses mémoires, Fils de la nation (Editions Muller), publiées en 2018. Il ne manquera jamais de la mettre en avant, rappelant qu’il fut mineur de fond, marin-pêcheur ou encore métreur d’appartement.
La guerre finie, bénéficiant d’une bourse d’étude, il s’inscrit en droit. Il devient président de la Corpo droit de la faculté de Paris, composante de l’UNEF d’alors, qui allait de la droite la plus dure aux communistes. Lors de cette période, qu’il évoquait souvent avec nostalgie, il s’est toujours affiché comme anticommuniste au Quartier latin. C’est l’heure des premières batailles politiques, qui s’apparentent plus à des combats de rue qu’à des joutes oratoires. « Chef de bande », comme il aimait à se décrire, il n’hésite pas à faire le coup de poing contre les forces de police ou les « rouges ».
C’est donc logiquement qu’il part se battre contre l’« ennemi » communiste et, pour préserver ce que l’on appelait alors l’« empire français », Jean-Marie Le Pen s’engage en 1953, après son diplôme d’avocat, au sein du 1er bataillon étranger de parachutistes (REP), pour aller en Indochine.
Talent oratoire
Mais il arrive littéralement après la bataille, celle de la débâcle de Dien Bien Phu en 1954. Quelques semaines après, il travaillera à Saïgon pour Caravelle, le journal des corps expéditionnaires. Episode qui servira à maintes reprises à ses adversaires internes à l’extrême droite pour l’attaquer.
Puis, c’est le retour en France. Il est présenté par Roger Delpey, président de l’Association des anciens d’Indochine, à Pierre Poujade, virulent opposant à Mendès France et aux socialistes. Les deux hommes se plaisent. Le Pen intègre donc l’Union de la jeunesse de Poujade. Porté par la vague poujadiste de 1956, Le Pen devient député à 27 ans.
A l’Assemblée, son talent oratoire, son côté bateleur et son goût des provocations le popularisent. Mais il semble s’ennuyer au Palais-Bourbon. Il lui faut de l’action. Se battre. Il s’engage pour six mois dans l’armée. Dans un premier temps, son unité est intégrée au corps expéditionnaire franco-anglais lors de la crise de Suez, en 1956. Mais, arrivé onze heures avant le cessez-le-feu, il ne se battra pas, encore une fois.
Après, ce sera l’Algérie. Six mois chez les « paras » de la 10e division parachutiste, en 1957, en pleine bataille d’Alger. Il sera décoré, par le général Massu, de la croix de la Valeur militaire. L’Algérie, pour Le Pen, c’est la mère des batailles, ce qui lui fera s’engager durablement à l’extrême droite, ce qui lui fera détester de Gaulle, les gaullistes – une rancœur que l’on pourra retrouver plus tard, dans ses propos contre Jacques Chirac – et les institutions de la Ve République.
Jean-Marie Le Pen, président du Front national, porte le béret d’ancien officier d’Algérie, lors d’une réunion d’anciens combattants, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 24 septembre 1985.
C’est aussi une obsession. Jamais il n’abandonnera son discours de nostalgique de l’Algérie française. Les plus grands succès locaux du Front national de Jean-Marie Le Pen auront d’ailleurs lieu sur les terres des rapatriés d’Algérie, notamment le sud-est de la France. Jusqu’au bout, lors de ses discours, Le Pen condamnera « l’abandon de l’Algérie française à l’Algérie fellaga ».
La torture en Algérie
De la guerre d’Algérie, Le Pen rapporte une polémique. Celle de la torture. En 1962, l’historien Pierre Vidal-Naquet reproduira des rapports de police de 1957 accablants pour le soldat Le Pen, où un ancien détenu du 1er REP l’accuse de l’avoir torturé, notamment à l’aide de la « gégène », ce générateur électrique utilisé pour faire « parler » les prisonniers en leur envoyant des décharges dans le corps. Le 9 novembre 1962, il affirmait dans les colonnes du journal Combat n’avoir « rien à cacher » sur le sujet : « J’ai torturé parce qu’il fallait le faire. » Des propos sur lesquels il reviendra dans ses mémoires, un demi-siècle plus tard où il défend l’usage de la torture mais nie y avoir eu recours.
Ces accusations réapparaîtront plus de 20 ans plus tard, lorsque Le Canard enchaîné réitérera ces accusations en 1984, puis au début des années 2000 dans les colonnes du Monde. Florence Beaugé revient sur la mort d’Ahmed Moulay, 42 ans, soumis « à la question » par les parachutistes, une nuit de mars 1957 devant sa famille, à son domicile. Le lendemain on retrouve sur les lieux du crime un poignard en acier trempé, long de 25 centimètres et large de 2,5 centimètres, du type de ceux qu’utilisaient les Jeunesses hitlériennes, fabriqué par des couteliers allemands de la Ruhr, selon l’enquête menée par le journaliste Sorj Chalandon. Sur le fourreau de l’arme, on peut lire : J. M. Le Pen, 1er REP. Le Monde gagnera les procès intentés par Jean-Marie Le Pen à la suite de la publication des articles relatant ces faits.
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