AU SÉNÉGAL, ÊTRE FEMME EST UN COMBAT

Voile, vêtements amples, précautions infinies : rien n'y fait. Comme des milliers de Sénégalaises, Lissa Diop subit le harcèlement au quotidien. Et quand les victimes osent parler, c'est souvent pour s'entendre dire qu'elles l'ont bien cherché

SenePlus  – « Notre habillement, nos précautions, notre voile, cela ne suffit pas. » Cette phrase, comme un cri du cœur, résume le désarroi des femmes sénégalaises face au harcèlement sexuel. Une enquête menée par La Maison Des Reporters révèle l’ampleur d’un phénomène systémique qui gangrène la société, des rues de Dakar aux transports en commun.

Le quotidien de la peur

Le 7 février 2022, alors que le Sénégal célébrait sa première victoire en Coupe d’Afrique, Lissa Diop vivait l’enfer. Cette responsable de communication se souvient avec précision de son agression : « Au début, je pensais que c’était juste un vol. Mais ils ont commencé à déchirer mes vêtements, certains à toucher mon corps. » Pratiquante de boxe, elle a tenté de se défendre : « Je vais beaucoup taper, beaucoup mordre […] mais cela devient violent, il y a des coups qui viennent de partout. »

Dans les transports en commun, principaux moyens de déplacement au Sénégal, la situation est particulièrement alarmante. Qu’il s’agisse des bus « Tata », des cars rapides ou des « clandos », les témoignages se multiplient. Fanta Ndiaye, étudiante en médecine de 21 ans, raconte une expérience traumatisante : « J’étais étonnée et dégoûtée ; je suis restée une vingtaine de minutes à regarder ces gouttelettes de sperme sur mes chaussures en me demandant comment nettoyer ce ramassis de saleté. »

La double peine des victimes

Le récit de Mame Sega Lo, étudiante en master d’anglais, illustre un autre aspect du problème : la culpabilisation des victimes. Après avoir été agressée dans un bus avec ses sœurs, elle raconte : « Une dame dans le bus a continué à nous insulter et à nous traiter de menteuses, faisant même des remarques sur nos habits, affirmant que si nous avions été agressées, c’était de notre faute. »

Cette culpabilisation est profondément ancrée, comme en témoigne Dieynaba Tall, 22 ans, agressée dans un taxi : « J’avais l’impression que c’était ma faute, que j’avais fait quelque chose pour mériter ça. » Pour échapper à son agresseur qui la harcelait, elle a dû sauter du véhicule en marche.

Un cadre juridique insuffisant

Le Code pénal sénégalais, dans son article 319 bis, prévoit des peines allant de six mois à trois ans d’emprisonnement pour harcèlement sexuel. Mais comme le souligne Me Ndeye Coumba Kane interrogée par La Maison Des Reporters, cette définition reste limitée : « Le Code pénal se concentre sur le harcèlement commis par une personne ayant autorité sur la victime dans un cadre professionnel. »

Les chiffres sont éloquents : selon une étude de l’Ansd de novembre 2024, 17% des femmes âgées de 15 ans ou plus ont subi des violences sexuelles hors du cadre conjugal. Pourtant, à l’Association des Femmes Juristes du Sénégal (AFJS), les cas de harcèlement déclarés ne représentent que 1% des 1 132 dossiers traités entre 2021 et début 2024.

Une société à transformer

Madjiguène Sarr, juriste à l’AFJS, pointe du doigt les racines profondes du problème : « Les violences faites aux femmes traduisent des rapports inégaux entre hommes et femmes, qui tiennent leur origine du système social basé sur le patriarcat. Ce système crée et perpétue des préjugés et stéréotypes sociaux néfastes envers les femmes. »

Les solutions existent pourtant. La juriste recommande plusieurs réflexes essentiels : « Chercher des témoins, prendre des photos ou vidéos, se faire établir un certificat médical, porter plainte. » Mais au-delà des procédures, c’est un changement de mentalité qui s’impose : « La société doit avoir à l’esprit qu’une victime de violences a besoin d’être crue, écoutée avec bienveillance, d’être protégée et mise hors de danger. »

En attendant ce changement sociétal, les femmes continuent de subir ce fléau quotidien. Comme le résume une victime : « Notre habillement, nos précautions, notre voile, cela ne suffit pas. » Une phrase qui résonne comme un appel à l’action collective pour mettre fin à ce cauchemar silencieux.

L’enquête de la Maison des Reporters est à lire ici

Source : SenePlus (Sénégal)

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile