LA MÉMOIRE DE THIAROYE OU LE BATAILLON DES TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS CONTINGENT DE LA FORCE COLONIALE

EXCLUSIF SENEPLUS - Pourquoi nous, peuples d'Afrique subsaharienne et particulièrement du Sénégal, continuons-nous à célébrer ceux qui ont participé à notre oppression historique et à l’extermination de notre souveraineté ?

SenePlus  – Au moment de la commémoration du massacre du camp de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944, l’histoire du bataillon des Tirailleurs Sénégalais mérite que l’on s’y attarde pour éclairer l’histoire de l’hégémonie coloniale.

Le bataillon des Tirailleurs Sénégalais a été formé par un décret de Napoléon III en juillet 1857, sous le commandement de Louis Faidherbe, gouverneur du Sénégal depuis 1854 et dont on connaît le rôle dans l’expansion coloniale et ses violences meurtrières. Le recrutement effectué d’abord sur les terres sénégalaises s’est peu à peu étendu à d’autres nations africaines, recrutant dans ses rangs des soldats d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord.

L’objectif de l’existence de ce contingent était d’apporter un soutien militaire aux opérations d’envahissement et de conquêtes coloniales. Les Tirailleurs sénégalais avaient d’abord pour mission de réprimer toute résistance à l’empire colonial français, utilisant les mêmes armes que l’impérialisme colonial. Ainsi, les Tirailleurs Sénégalais devenaient la main armée de l’empire colonial français, sur leur propre territoire en combattant les peuples en lutte. Et il n’est pas insultant de dire que Les Tirailleurs Sénégalais devenaient ainsi les collaborateurs de la domination coloniale française. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le bataillon a été dissout entre 1960 et 1962, au moment des indépendances des États africains.

Plusieurs questions se posent alors. Comment peut-on encore défendre un groupe armé à la solde de la colonisation ? Pourquoi en Afrique et au Sénégal en particulier, devient-on les défenseurs naturels des collaborateurs ?

Engagés inconsciemment ou consciemment comme tous les soldats de la première guerre mondiale et de la seconde guerre mondiale, les Tirailleurs Sénégalais tirent toutefois leur existence dans des actes de collaboration et de répression envers leur propre peuple, avec des avantages non négligeables à ce moment de l’histoire. De même, ils ont contribué aux guerres coloniales en Afrique, en Indochine, en Algérie et à Madagascar, aux côtés de l’empire colonial français.

Souvenons-nous que les collaborateurs ont partout été jugés, tués et indexés dans l’histoire de leur pays. Le Maréchal Pétain, héros de la première guerre mondiale et alors vainqueur dans l’opinion publique, est accusé de collaboration avec les nazis à la fin de la seconde guerre mondiale pour avoir installé le régime autoritaire de Vichy. À la libération, il est jugé et arrêté pour haute trahison et condamné à mort, une peine commuée en détention à perpétuité. Il meurt en prison en 1951. Aujourd’hui encore, l’histoire de la France ne reconnaît pas la mémoire du Maréchal Pétain car cela n’est pas acceptable pour tous les combattants et les résistants à l’occupation nazie.

En Italie, Benito Mussolini, dictateur fasciste et collaborateur du régime nazi, a été exécuté en place publique en avril 1945 par les partisans italiens et son corps mutilé a été exposé à la foule, comme l’ultime humiliation.

En Algérie, les harkis, combattants anti-indépendance à la solde de l’armée française, ont été bannis de leur pays, avec un traitement de violence qui aujourd’hui continue  de subsister, pour dénoncer leur collaboration avec l’empire colonial français.

Alors pourquoi nous, Africains noirs sub-sahariens, et en particulier Sénégalais, conscients des luttes sanglantes que nous avons eues à mener face à l’agression perpétuelle et à l’extermination de notre souveraineté humaine, culturelle et historique, célébrons-nous encore ceux qui ont été les complices de notre propre désintégration  ?

J’ose m’adresser au peuple sénégalais en disant de ne pas soutenir les oppresseurs de notre libre-arbitre. C’est une insulte à ceux et à celles qui se sont levés contre la colonisation et qui ont œuvré pour la liberté. Si nous voulons nous affranchir définitivement du joug colonial, nous devons examiner notre conscience pour oser prendre position contre ce type de manipulations mentales.

Je ne dis pas que les assassinats du camp de Thiaroye en décembre 1944 sont une bonne chose, je dis simplement que notre mémoire doit s’accompagner d’une conscience entière, sans déni de vérité historique.

Si les archives françaises du 1er décembre 1944 restent nébuleuses ou inaccessibles, c’est encore une fois une manière de garder la mainmise sur notre histoire. Ce n’est pas non plus un hasard si l’État français continue d’honorer la mémoire des Tirailleurs Sénégalais car ils sont le symbole de leur suprématie qui continue d’instrumentaliser notre conscience  historique. Mais gardons-nous de pleurer ceux qui ont collaboré pour mieux écrire notre propre récit historique et pour célébrer la mémoire de ceux qui ont toujours résisté à l’empire colonial français.

Ce qui nous importe aujourd’hui au XXIe siècle, c’est de faire vivre notre propre récit, de célébrer les combattants historiques des luttes pour notre liberté, sans omettre de dénoncer ceux qui nous ont trahis. Notre devoir de mémoire s’accompagne de cette prise de conscience qui contribue à la renaissance africaine et à l’émergence de tous les soleils de notre émancipation.

 

Amadou Elimane Kane de SenePlus

Amadou Elimane Kane est enseignant, écrivain poète et chercheur en sciences cognitives.

 

 

 

Source : SenePlus (Sénégal)

 

 

 

 

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