– Les yeux cernés, les nerfs à vif, les parents de jeunes enfants sont inondés de conseils parfois contradictoires pour endormir leur enfant. Désemparés, certains font appel à un tiers, comme des coachs en sommeil, pour trouver le répit nocturne. Sur le compte Instagram du magazine Parents, une mère témoigne ainsi de son expérience : « Notre fille, à 7 mois, ne faisait toujours pas ses nuits. (…) On avait besoin d’une tétine, de l’emmailloter, ça prenait un temps infini… »
Après consultation, une coach leur propose un suivi sur deux semaines et un « plan sommeil ». L’idée : accompagner leur fille, sans la bercer jusqu’à endormissement, en la rassurant, puis en réduisant petit à petit leurs interventions. « Aujourd’hui, on pose notre fille dans son lit, dans le noir. Ça paraît bête, mais ça a marché », se réjouit la mère. Dans les commentaires, les avis divergent. Le cœur de la discorde ? L’initiation à l’endormissement autonome, sans bercer ou nourrir le bébé jusqu’au sommeil, quitte à le laisser pleurer. Dressage pour les uns, étape nécessaire pour d’autres.
Instagram est désormais un terreau marketing fertile pour ces marchands de sable contemporains. Ces pros du dodo auraient-ils craqué le code pour assurer des nuits apaisées ? « Certainement pas, il n’y a pas de recette miracle, d’approche systématique », se défend Caroline Ferriol, l’une des pionnières en France, autrice du Grand Guide du sommeil de mon bébé (Marabout, 2023). Comme d’autres, elle s’est formée à travers des ateliers et des lectures et a ouvert sa propre structure en 2019. Elle y propose des modules vidéo thématiques (à partir de 39 euros), des consultations en visio (90 euros) ou un accompagnement sur plusieurs semaines (à partir de 600 euros pour trois semaines) avec elle ou l’une de ses onze collaboratrices, qui ont toutes suivi sa formation. Une offre qui n’est évidemment pas à la portée de tous les budgets.
« Informations contradictoires »
Ce marché du conseil aux parents n’est pas nouveau. « Il s’est développé après-guerre, d’abord en direction des mères, avec la psychanalyste Françoise Dolto, en France, ou [avec le pédiatre] Benjamin Spock, aux Etats-Unis, rappelle Claude Martin, sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Mais tout est démultiplié avec les réseaux sociaux. Si bien qu’aujourd’hui on peut se retrouver pris dans une boucle, abreuvé ad nauseam d’informations contradictoires. »
La confusion règne effectivement, en ligne comme à domicile. « A 4 mois, mon fils se réveillait toutes les quarante-cinq minutes, jour et nuit. J’étais au bord du décès clinique », dit, en plaisantant, Camille (qui ne souhaite pas donner son nom). Le pédiatre éludait et la dette de sommeil se creusait. Avec, en ligne de mire, le retour au bureau. « Je ne voulais pas laisser mon bébé pleurer, à cause du cortisol, cette hormone du stress qui, d’après ce que je lisais en ligne, pouvait affecter son développement. »
Après avoir écarté la piste d’une pathologie, Camille contacte une coach sur Instagram. Elle débourse 240 euros pour un forfait de trois rendez-vous. Après un long entretien par visio, la coach lui envoie six pages détaillées dans lesquelles elle déroule une journée type, du réveil au coucher, avec conseils pratiques : temps d’éveil à respecter, préservation d’un temps calme avant les siestes, allaitement hors de la chambre… « Ça nous a un peu aidés, reconnaît Camille. On arrivait à le poser la journée. Mais ça n’a pas réglé les multiples réveils nocturnes. »
Laurène (qui ne souhaite pas donner son nom) a attendu un an avant de faire appel à une coach. « Je suis infirmière vétérinaire, et c’était dur d’enchaîner les gardes de douze heures, quand j’avais peu, voire pas dormi. » On lui souffle le nom de deux « régleuses de nuits » – des nounous, souvent professionnelles de la petite enfance, qui viennent à domicile pour gérer les réveils nocturnes. « D’une part, c’était vraiment hors budget [en moyenne 100 euros pour huit heures, avec remboursement partiel grâce au complément du mode de garde de la caisse d’allocations familiales], et, surtout, je voulais m’occuper de ma fille la nuit. » Elle finit par consulter une coach en sommeil qui leur donne un plan d’action. « L’idée, c’était de lui montrer qu’on était là, sans la laisser pleurer seule, ni la prendre systématiquement dans les bras. Et en une semaine, c’était réglé. »
Sommeil multiphasique
En dehors des pathologies, comme les problèmes de régurgitation, d’apnée du sommeil ou d’allergie aux protéines de lait, qui doivent faire l’objet d’une consultation, faire ses nuits est un apprentissage. Le sommeil des bébés est multiphasique, avec de nombreuses siestes sur vingt-quatre heures, avant de prendre, petit à petit, une prédominance nocturne dès 4 à 6 mois, passible de rechutes (les fameuses régressions) souvent liées à une étape de développement. « Les enfants ont besoin d’être accompagnés vers l’endormissement et, à la fois, de s’autonomiser dans cette démarche », explique Sylvie Royant-Parola, psychiatre spécialiste du sommeil.
Un équilibre fragile qui déroute plus d’un parent. « L’essor de ces consultantes témoigne d’une vraie demande de la part de parents démunis. Lorsqu’ils sortent de la maternité, ils n’ont aucune information sur la spécificité du sommeil des bébés, à part qu’il doit dormir sur le dos pour limiter les risques de mort subite du nourrisson », regrette la psychiatre et présidente d’honneur de Morphée, un réseau pluridisciplinaire qui se consacre à la prise en charge des troubles du sommeil.
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