Jeune Afrique – Il y aura, le 1er janvier 1997, deux Ghanéens heureux. Jerry Rawlings, qui entamera ce jour-là son premier mandat de président démocratiquement élu à l’issue d’un scrutin qui fut un modèle de transparence, et Kofi Atta Annan, premier secrétaire général négro-africain de l’histoire des Nations unies, désigné le 13 décembre [1996] à l’unanimité des quinze voix du Conseil de sécurité et qui, ce même jour, s’installera sur le toit du monde. Double symbole, en somme, d’une autre Afrique, celle que les médias ne voient pas : positive, optimiste, sûre de la qualité de ses enfants et capable du meilleur.
« Il n’aura pas besoin de faire un stage pour comprendre », dit de lui dans un sourire l’un de ses rivaux malheureux, le Mauritanien Ahmedou Ould Abdallah. Et pour cause : s’il est le premier Noir à accéder à ce poste, Kofi Annan est aussi le seul secrétaire général issu du système onusien au sein duquel il travaille presque sans interruption depuis trente-quatre ans.
Virus onusien
Né à Kumasi, le 8 avril 1938, au cœur de ce qui s’appelait alors la Gold Coast, fils d’un chef coutumier de l’ethnie fante, Annan a toujours été beaucoup plus attiré par l’économie que par la politique enfiévrée et incandescente du Ghana des années Nkrumah. Après des études à l’université de Kumasi, il obtient une bourse de la Fondation Ford pour le Macalester College de Saint-Paul, dans le Minnesota. En 1961, il part pour Genève, où il s’inscrit à l’Institut des hautes études internationales : c’est là qu’il apprend le français, langue qu’il maniera plus tard très correctement, avec l’accent anglais. Dix ans plus tard, déjà haut fonctionnaire intégré dans les rouages de la bureaucratie onusienne, il délaissera Manhattan pour fréquenter, pendant deux ans, le prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT).
C’est qu’entre-temps le virus onusien a saisi Kofi Annan. Lui qui projetait de devenir homme d’affaires jusqu’à l’âge de 45 ans, puis politicien au Ghana jusqu’à 60 ans, et enfin planteur de cacao en attendant une mort tranquille dans son lit, bouleverse tout d’un coup ce plan de carrière pour un poste à l’OMS, à Genève. Après deux ans, le pli est pris.
Pendant les deux décennies qui suivent, hormis un court retour au pays de 1974 à 1976 comme directeur de la Ghana Tourist Development Company, Annan fait le tour des organisations spécialisées du système. L’OMS donc, puis la Commission économique pour l’Afrique à Addis-Abeba (six ans), l’OMS à nouveau (neuf ans), le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) à Genève (sept ans). En 1983, Javier Pérez de Cuellar nomme ce parfait produit du « machin », lisse, souriant et sans histoire, secrétaire général adjoint : il a en charge, à New York, le budget, puis les ressources humaines et la planification. Le personnel apprécie cet homme de consensus qui se qualifie de « joueur d’équipe », sans plus.
Mésentente avec Boutros-Ghali
Mi-1990, Kofi Annan reçoit sa première et délicate mission. Il est à Bagdad et à Koweït-City, où il s’occupe du rapatriement des fonctionnaires internationaux bloqués par la crise du Golfe. Il facilite aussi l’évacuation du demi-million de travailleurs asiatiques piégés dans l’émirat. Le département d’État et la presse américaine commencent à s’intéresser à lui.
Secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix en 1993, il cohabite tant bien que mal avec Boutros Boutros-Ghali. « J’ai eu avec le secrétaire général des relations professionnelles », dit-il aujourd’hui. Ce qui signifie, en langage onusien, que les deux hommes ne s’entendaient guère. Une discordance que les Américains savent mettre à profit. Plus Boutros-Ghali s’éloigne d’eux, plus leurs relations avec lui se tendent, plus Madeleine Albright, représentante auprès des Nations unies, se plaît à étaler « l’énorme admiration » qu’elle éprouve pour Kofi Annan.
Tout est analysé à travers ce prisme, et l’étiquette de « candidat des États-Unis » commence à coller sérieusement au secrétaire général adjoint. Il est vrai que le Ghanéen semble beaucoup mieux comprendre les desiderata de Washington que l’Égyptien. Accessoirement, les diplomates arabes considèrent Annan comme de plus en plus pro-israélien. L’affaire du bombardement du village libanais de Cana par l’armée israélienne, en avril 1996, confortera ce jugement : selon l’entourage de Boutros-Ghali, Kofi Annan aurait empêché la publication d’un rapport accablant pour Tsahal – ce que l’intéressé dément.
Médiateur en Bosnie
Restait, pour Kofi Annan, à gagner ses galons de grand médiateur. Ce sera chose faite en Bosnie. En octobre 1995, après les accords de paix de Dayton, Boutros-Ghali le nomme représentant spécial à Zagreb, où il succède au Japonais Yasushi Akashi. « Nomination piège », murmure-t-on au sein du staff onusien, où Annan est très populaire, « Boutros cherche à enfoncer son rival dans le bourbier yougoslave ; il ne pourra qu’échouer, comme Akashi avant lui ».
Mais Kofi sort intact de l’aventure : son sens du compromis fait merveille et lorsqu’il accomplit, en mars 1996, sa tournée d’adieu en Bosnie, il est partout félicité. Entre-temps, l’image de cet homme noir de 1,70 mètre aux allures de sage et de pasteur, avec son gilet pare-balles, a fait le tour du monde. Pour beaucoup d’observateurs, le futur secrétaire général, c’est lui.
De retour à New York, Kofi Annan prend comme d’habitude le métro et le téléphérique qui relie la métropole à l’île Roosevelt, sur l’East River, siège de l’ONU. À l’instar de nombreux fonctionnaires, il y vit plutôt modestement avec son épouse, la Suédoise Nane Lagergren, avocate et magistrate devenue peintre de renom et qui est la nièce de Raoul Wallenberg, ce diplomate suédois qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, sauva des camps de la mort des milliers de juifs hongrois, avant de disparaître en Union soviétique, en 1945. Le couple a trois enfants, un fils et deux filles (l’une est issue d’un précédent mariage de Nane), qui vivent entre New York, Londres et Stockholm. Lorsque son travail lui en laisse le loisir, Kofi Annan pratique la marche à pied et se passionne pour la critique d’art et la photographie.
François Soudan
Source : Jeune Afrique
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