« Baaba ! Avec Baaba ! Jusqu’à la mort ! »[01] scandaient à l’unisson les mélomanes ce samedi 9 novembre 2024 et Baaba Maal monta à 0:30 sur la scène de ce chalet cossu situé au bord du Lac de Saint Mandé[02], à l’Orée du Bois de Vincennes (Paris).
Ses premiers mots ont été pour Mansour Seck, Mbassou Niang et Toumani Diabaté, le père du nouveau maître de la kora Sidiki. Le Mandé et sa charte Kurukan Fuga ont été ressuscités par la grande cantatrice Mami drapée comme une fleur dans un magnifique boubou rose. Pendant ses longues incantations, elle se plaçait parfois au cœur de la foule pour raviver le souvenir de temps anciens et mieux nous libérer du stress généré par plusieurs années d’exil. Le bonheur de voir Baaba en pleine forme comme s’il revenait d’une cure de jouvence était palpable chez ceux et celles qui tentaient d’imiter ses danses endiablées défiant toutes les lois de la gravité. Sa présence scénique, même sur des mélodies douces, a montré sa joie de vivre contagieuse. Mah Keïta, femme guitariste du groupe et Albinos, fut l’incarnation sur scène du pouvoir des femmes et de la lutte contre toutes les formes de discriminations. Des thèmes chers à Baaba.
Avant l’entrée de Baaba Maal, revenons sur la 1ère partie commencée une heure plus tôt (23:30). En levée de rideau il y avait Ndillaan pour le plongeon du public dans les eaux du lac par un retour sur la tragédie de Hammee Birom Moodi Kome, un Pékane moderne qui a dû flatter notre yeri maayo encore dans les coulisses. Le 2ème et dernier titre « Jammaanu », ou la vie éphémère, a rappelé les héros peuls tombés au champ d’honneur : Tijaani Aan, Murtuɗo Joop, Mustafa Booli[03]… brossant ainsi quelques sources d’inspiration des artistes peuls ayant pignon sur rue.
Plusieurs grands musiciens ont par la suite surchauffé la salle : Penda Wuuri, Penda Gisee, Heydi Sibiri, Adviser,…
C’est à 0h30 que les « Baaba ! Avec Baaba ! Jusqu’à la mort ! » ont fini par sortir Baaba Baydi de sa tanière et exposé sous les projecteurs son orchestre pour 3 heures de show non-stop. Yeri maayo portait un superbe boubou 3 pièces bleu-gris, sans excès dans la broderie. Il a exprimé sa joie d’être à seulement 5 mètres de son public, une proximité qui permet de longues veillées jusqu’au petit matin, cela lui rappelle ses petites tournées de village en village au Fuuta Tooro. L’assistance fut émue quand il évoqua les disparus Mansuur Sekk, Mbasu Naŋ et Tumaani Jabatee, partis en ayant accompli leurs missions pour le triomphe de la musique africaine.
Baaba ne tardera pas à se débarrasser de son boubou pour danser wanngo, acca-cerel, rippo, ndaa dalli…on en oublie. Le mbalax aussi était dans la place. À côté des tambours, un tama ensorceleur bien coincé sous l’aisselle ponctuait les coups de reins, rythmait la danse « sous »… Buubaa dillii tigi e damal suudu yaay raki !
Le chanteur-danseur Cheikh a tourné à nous donner le tournis et Baaba a réussi à communiquer son énergie jusqu’à la dernière rangée de cette salle qui a refusé du monde. Beaucoup veulent le revoir à Bercy ou dans un espace plus adapté pour accueillir la diaspora en Europe. Un beau défi à relever par les organisateurs de cet événement inédit.
Le point final fut son duo avec Adviser. Le rappeur mauritanien avait pourtant dit « au revoir » au public, avant de se raviser. C’est là que la machine s’est emballée, les deux artistes se sont livrés à de véritables improvisations et ont bien pagayé de Podor Sénégal jusqu’à Mbagne Mauritanie. Les percussions de Daande Leñol ont rendu les chants sublimes. Baaba a même eu le temps de s’arrêter pour raconter son rêve sur le clip Teddungal.
J’ai aimé les adieux au public, qui ne savait pas que la soirée allait s’arrêter là, quand tout est parfait. Partir quand on est au sommet. Baaba et ses compagnons et invités sont partis après avoir donné le meilleur d’eux/elles-mêmes. C’est la marque de l’excellence et du professionnalisme.
En dehors de sa prouesse artistique, Baaba fait partie du cercle très restreint des grands artistes intellectuels et il a glissé des messages puissants pour l’Afrique et le monde. Il est difficile de rapporter dans ici les différentes facettes du lead vocal de Daande leñol exposées lors de ce concert. Il a émis plusieurs idées dont voici une tentative de les structurer ci après en morceaux choisis, projets et réalisations.
MORCEAUX CHOISIS
BAAYO : Baaba a ouvert la soirée par ce morceau qui signifie famille. Il aborde l’importance des liens familiaux qu’il faut entretenir même en période de grandes difficultés. Reconnaissance aux générations précédentes qui ont fait des sacrifices. Il a été question des inondations cette année et de la solidarité nécessaire. Il souhaite aux sinistrés un dénouement heureux après le retrait des eaux comme celui qu’il a connu avec ses parents au début des années 60.
DELIYA : qui veut dire « chérie » ou « bien-aimée ». Cette chanson qui parle d’amour et met à l’honneur les femmes a galvanisé la salle par la beauté de la musique, dans un live unique qui a remis ce son mythique au diapason.
KALAJO : no comment. C’est tout simplement sublime. Baaba a immortalisé Ablaay Elimaan Jah. C’est devenu un hymne. Paix éternelle souhaitée à tous les morts.
TEDDUNGAL : ce fut l’apothéose ! Baaba Maal et Adviser réunis pour chanter à Paris leur dernier clip, avec des virées vers « Volume », les artistes qui se chantent l’un l’autre, les percussions de Daande leñol qui s’en mêlent. C’était fou.
PROJETS
Lors de cette soirée Baaba a insisté sur son prochain déplacement à Riyad pour participer au sommet sur la désertification. Il y défendra l’Afrique et a insisté sur la prise en compte du changement climatique qui explique les inondations que l’on constate depuis plusieurs années.
L’Education est ultra prioritaire pour notre ambassadeur de bonne volonté auprès des Nations-Unies. Il a pris l’exemple du Pulaar, sa langue maternelle, pour appeler à plus de considération pour les langues africaines, véhicules naturels de la Culture. S’adressant aux très nombreux peuls dans la salle, il leur demandera d’apprendre le pulaar, l’enseigner, le protéger, le diffuser…
RÉALISATIONS
Le groupe Daande leñol (La Voix du Peuple) depuis sa création il y a 40 ans a participé à des coopératives agricoles, à la construction d’écoles, aux jardins maraîchers, à la livraison de chaises et bancs,…
Ces différentes expériences n’auraient pas été possibles sans les femmes qui sont les moteurs du développement politique, économique, social et culturel.
Félicitations aux organisateurs de ce méga événement : Rakhou Prod et Oumar Wade, le Manager de Daande leñol.
Remerciements à :
– Mariame Kane
– Hamady Mbodj
– Diara Ndiaye, organisatrice des Awards de la Jeunesse Africaine à Dakar
– Amadou AW, membre fondateur des Amis de Baaba Maal en France
– Aïssata Sidiki BA
– Tou.te.s ceux/celles qui se sont impliqué.e.s activement à l’échelle de l’Europe pour le plein succès de ce rendez-vous.
– Tous les fans qui ont répondu « présent! » au nom de l’Afrique , ou du pulaagu , ou tout simplement pour apprécier le talentueux Daande Leñol et son leader, sont chaleureusement remerciés.
Njetten sabaabu oo: Elhaaj Baaba Maal, yeri maayo mo yaraani deebeele. A bonnaani sahaa ma, a bonnidaani e sahaa ma![04]
Maintenant soyons tou.te.s focus sur la célébration en 2025 du 40ème anniversaire de Daande Leñol, 4 décennies glorieuses de notre Voix du…Peuple!
11/11/2024
Sammba NDEET
tiapato.kowri@gmail.com
Post Scriptum
Cet article n’a pas pour objectif de relater toutes les minutes des 5 heures de cette soirée inoubliable. Au-delà du spectacle, il y’a l’âme du Fuuta Tooro et du Mali qui était là et que Baaba a fait ressortir en devinant les attendus d’un public qu’il connaît parfaitement.
Nos artistes sont très désirés avant et pendant leurs spectacles. Après, il ne se passe généralement rien sur le plan médiatique. Il est de notre rôle et de celui des médias de relayer leurs performances scéniques, de faire leur publicité d’avance pour qu’ils continuent de drainer des foules l’année prochaine et les autres nombreuses années à venir. Saïdou BA de la 2Stv était le maître de cérémonie, nul doute que l’événement aura un retentissement au Sénégal, en Mauritanie et dans tous les foyers abonnés à cette chaîne panafricaine.
NOTES
[01] Avec Baaba jusqu’à la mort est un slogan qui colle à l’artiste, on l’entend même dans son son grandissime album « Firin’ In Fuuta ». C’est un cri d’amour passionné traduisang la fidélité de son public, leur attachement à l’orchestre Daande Leñol et son leader.
[02] Les mots Lac et Mandé dans la description du lieu de l’événement sonnent comme un mystère, un monde invisible qui délimite le cadre de ces retrouvailles à Paris avec la Diaspora en Europe. Lac évoque l’eau, yeri maayo et les sciences du Cubalaagu. La soirée a été ouverte en 1ère partie par un Pekane moderne, donnant un cachet très aquatique. Quand au Mandé de Soundiata Keïta, il avait sa fille Mah Keïta à la Guitare bass.
[03] Dans « Jammaanu », le titre officiel est Diamaanu, la liste de personnalités citées est très longue. Ndillaan a fait un tri et a essayé de retenir les disparus ayant influencé les musiques engagées. En outre le temps était très limité vu tous les grands artistes qui devaient se produire en 1ère partie.
[04] « A bonnaani sahaa ma, a bonnidaani e sahaa ma », intro du titre « Salimoun »(1995), est un compliment qui sied bien à Baaba Maal. Ce pulaar est presque intraduisible et montre tous les délices de s’exprimer dans sa langue. Ça voudrait dire « Tu n’as pas détruit ton époque, et tu ne t’es pas auto-détruit avec elle ». Oui, c’est un bon résumé de notre roi du Yela. Son histoire est dans ses chansons.
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