La tristesse de voir ses parents vieillir

À travers le lent déclin de nos parents, c'est notre déchéance à venir que nous contemplons avec effroi.

Slate – Aux jeunes gens qui lisent cette chronique, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Arrivera un jour dans votre existence où il faudra vous occuper de vos parents comme ils se sont occupés de vous aux premiers jours de votre existence, dans une sollicitation qui ne connaîtra pas de fin. Le jour où vos parents tombent malades, quand ils rentrent dans le soir de leur vie, parmi ce lent déclin qui les grignote de l’intérieur, vous vous retrouvez si surpris et démuni que vous ne savez vers qui vous tourner.

S’il est triste de vieillir, il est encore plus triste de voir vos parents vieillir. Eux qui naguère vous portaient sur leurs épaules, voilà que désormais ils marchent à pas comptés. Ils ont l’élocution lente et lourde, peinent à entendre ce que vous leur confiez, demeurent un long moment perdus dans leurs pensées. Leur monde s’est rétréci. Ils vivent désormais au ralenti, sans allant ni envie, absents d’un monde qui a épuisé tous leurs sens.

Sans mot dire, vous contemplez leur chute. Secrètement, dans des pensées qui vous poignardent, vous leur en voulez d’exhiber ainsi leurs faiblesses. Comment est-il possible que ceux qui vous ont donné la vie soient devenus aussi fragiles, aussi fatigués, parfois si éteints que toute vie semble les avoir désertés? Ces ombres rampantes, sont-ce donc les mêmes qui vous ont élevé, nourri, grondé, bordé, cajolé, encouragé, sermonné, soigné ? Qu’ont-elles en commun avec ces êtres qui, du haut de leurs forces, veillaient sur votre destinée et s’inquiétaient si jamais vous tardiez à rentrer ? Qui vous prenaient dans leurs bras et vous couvraient de baisers ? Qui accouraient quand des larmes vous secouaient ? Qui vous rassuraient et attendrissaient vos chagrins? Qui vous apprenaient à traverser la rue et à nager ? Qui se saignaient aux quatre veines pour que votre vie ressemble le plus possible à un conte de fées ?

Ils se sont fissurés. Certains ne vous reconnaissent pas, d’autres ont même oublié qui ils étaient. Ils sont là sans être là. Ou bien c’est la maladie qui les cloue au lit. Ils vont de chambres d’hôpital en maisons de retraite comme des fantômes perdus à eux-mêmes. Vous les accompagnez du mieux que vous le pouvez mais ce n’est jamais assez. Vous êtes leurs derniers alliés, leurs uniques recours et cette responsabilité vous écrase autant qu’elle vous épuise. Personne ne vous a prévenu que le jour viendra où, d’enfants, vous deviendrez les parents de vos propres parents. On dirait une arnaque, un scandale absolu. On a envie d’aller porter plainte pour publicité mensongère, exiger un remboursement, demander des comptes.

Votre cœur saigne de les voir ainsi mais vous ne pouvez vous empêcher de leur en vouloir, a-t-on idée de vieillir comme ça, n’ont-ils aucune pudeur à se montrer de la sorte, corps desséchés dont la vue écœure ? Et cette bave qui glisse de leurs lèvres, ces vêtements tout tachés, ces cheveux éparpillés, ne pourraient-ils avoir la décence de nous les cacher, nous qui sommes encore dans le plein de la vie ?

 

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Laurent Sagalovitsch

 

 

 

 

Source : Slate (France)

 

 

 

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