SenePlus – Dans un mémoire universitaire minutieusement réalisé en 2005-2006 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, M. Tiensigué Diabaté analyse un phénomène qui gangrène la vie politique sénégalaise depuis l’avènement du multipartisme : la transhumance.
« Le matin, le ‘nomade’ politique flirte avec l’opposition, l’après-midi, il se laisse séduire par le pouvoir. Puis, déçu de ne pas avoir été bombardé ministre, il renoue avec ses premières amours, qu’il délaissera à la première occasion pour les allées du pouvoir », décrit avec acuité le journaliste Francis Kpatindé dans Jeune Afrique, cité en introduction du document.
Cette pratique se manifeste sous diverses formes : « scissions au sein des formations politiques, défections, démissions de militants ou responsables d’un parti politique pour rejoindre un autre, organisations de meetings de ralliement, actes de fusion, migration des élus vers d’autres partis », énumère l’auteur.
Les racines du mal
L’étude identifie plusieurs causes profondes de ce phénomène. « Les conditions de vie précaires et l’état de pauvreté des populations constituent un facteur favorisant la transhumance », note le document citant une étude du R.A.D.I. Le chercheur souligne également que « l’absence d’une forte tradition idéologique dans l’énonciation du politique et l’analphabétisme d’une bonne partie de la population font que le rapport entre le militant et son parti est moins un rapport idéologique que personnel. »
Le phénomène a pris une ampleur particulière après l’alternance politique de 2000. « Ceux du PS, après quarante ans de régime socialiste semblent avoir mal vécu le sevrage que leur a imposé l’alternance. Ils sont pour la plupart aujourd’hui au parti libéral du président Abdoulaye Wade », observe Tiensigué Diabaté. Les chiffres sont éloquents : le Parti Socialiste étaient alors passé de 93 députés sous son règne à seulement 10 représentants après son passage dans l’opposition.
Face à ce phénomène, le législateur sénégalais a tenté de réagir. L’article 60 de la Constitution sanctionne la transhumance des députés, une disposition que le constitutionnaliste Ismaëla Madior Fall qualifie de « progrès historique dans la marche vers la civilisation politique ». Toutefois, son application reste limitée en l’absence d’une loi organique précisant les conditions de remplacement des élus « transhumants ».
L’étude met en lumière les effets dévastateurs de ces pratiques sur la vie démocratique. « La transhumance travaille à pervertir les esprits et à dégrader les caractères », souligne l’auteur. Le phénomène contribue également à la « déliquescence des mœurs politiques » et au « culte de l’impunité », les auteurs de mauvaise gestion échappant à toute poursuite judiciaire dès qu’ils rejoignent le parti au pouvoir.
Solutions proposées
Le mémoire suggère plusieurs pistes pour lutter contre ce fléau : renforcer le dispositif constitutionnel, lutter contre la corruption, mais aussi et surtout investir dans l’éducation politique des citoyens. « L’éducation, la formation politique et civique doivent guider les partis politiques afin que la donne change. Ainsi, le temps viendra où l’on votera par conviction », préconise Tiensigué Diabaté.
En conclusion, cette recherche universitaire rappelle, citant Rousseau, que « le peuple pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. » Une citation qui résonne particulièrement dans le contexte politique sénégalais.
Source : SenePlus (Sénégal)
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