Entre la France et le Sénégal, les encombrantes archives de Thiaroye

A l’approche du 80e anniversaire du massacre de dizaines de tirailleurs par l’armée française, le gouvernement sénégalais réclame l’accès aux archives sur cet événement. L’ancienne puissance coloniale assure avoir déjà remis tous les documents qu’elle possède.

Le Monde – C’est un vieux contentieux mémoriel entre la France et le Sénégal, qui ressurgit depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, en mars. Ces derniers mois, le massacre de dizaines de tirailleurs par l’armée française à Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, en décembre 1944, pour avoir réclamé leur prime de démobilisation, n’en finit plus de peser sur la relation franco-sénégalaise.

Depuis qu’il a tancé la décision de Paris d’octroyer, en juin, la mention « Mort pour la France » à seulement six tirailleurs sénégalais, le premier ministre, Ousmane Sonko, ne cesse de remettre ce dossier sensible sur le devant de la scène. Vendredi 1er novembre, lors de sa campagne pour les législatives anticipées, prévues le 17 novembre, il a de nouveau exigé l’accès aux archives françaises sur cet épisode sanglant de l’histoire coloniale.

Il a aussi fustigé la publication d’un livre sur le conflit sécessionniste casamançais, responsable de milliers de morts depuis 1982 dans le sud du Sénégal. Supputant une possible tentative de déstabilisation ourdie par l’ancienne puissance coloniale à travers cet ouvrage scientifique rédigé par l’historienne française Séverine Awenengo Dalberto, M. Sonko en a interdit la commercialisation.

Long silence des présidents sénégalais

 

La France « n’a qu’à nous donner les archives de ses exécutions sommaires au Sénégal pendant la colonisation, des guerres qu’elle a mené ici, des tortures », a-t-il clamé depuis Ziguinchor, la capitale de la Casamance, dont il est originaire, tout en se défendant « d’être antifrançais », mais plutôt « prosénégalais ». « Qu’elle nous donne les archives de Thiaroye 44 », a-t-il ajouté, sous les applaudissements de ses militants.

Cette véhémence tranche avec l’accommodement historique des chefs d’Etat sénégalais face au silence français sur le massacre de Thiaroye. Jusqu’à l’élection du président Faye, ce dossier sensible avait été traité a minima par ses prédécesseurs. Mais pour les nouveaux dirigeants sénégalais, qui se revendiquent souverainistes, la dénonciation de ce crime colonial est un des marqueurs de la « rupture » qu’ils avaient promise.

« Il y a eu un embargo politique français autour de Thiaroye durant des décennies », constate Mamadou Diouf, historien à l’université Columbia, à New York, et président du comité du 80e anniversaire des commémorations du massacre, mis sur pied par Ousmane Sonko en juillet. « Depuis l’indépendance, les présidents sénégalais l’ont passé sous silence pour ne pas mécontenter leurs partenaires français, poursuit-il. Même [Léopold Sédar] Senghor, qui avait dénoncé le massacre en premier dans un puissant poème écrit quelques jours après, n’a pas réclamé des comptes durant ses vingt années au pouvoir [1960-1980]. Sous [François] Mitterrand et jusqu’en mai, le film d’Ousmane Sembène Camp de Thiaroye a été interdit de diffusion sur le territoire. Aujourd’hui, avec les nouveaux dirigeants sénégalais, il y a une forme de démontage des manœuvres pour entraver cette mémoire. »

 

Accusée par certains historiens de cacher la vérité, la France assure avoir remis l’intégralité de ses archives à l’issue du voyage officiel de François Hollande au Sénégal, en 2014. Mais pour les autorités sénégalaises, le compte n’y est pas. « Il manque toujours des informations capitales qui ne peuvent se trouver que dans des archives détenues en France, martèle Abdoulaye Koundoul, coordinateur du comité et conseiller d’Ousmane Sonko. Combien de tirailleurs ont été tués ? Où sont-ils ensevelis ? Combien l’Etat français leur devait-il ? Ces réponses sont indispensables pour faire émerger la vérité. Nous avons bon espoir que les Français, qui ont une tradition réputée de conservation d’archives, nous aident à y répondre afin que nous tournions la page. »

La France joue la transparence

 

Face à la pression sénégalaise, Paris mise sur la conciliation. A la mi-octobre, à la suite d’un échange téléphonique entre les présidents Faye et Macron, le Sénégal a fait une demande de restitution d’archives avec une liste précise de documents. Dans quelques jours, une délégation d’historiens et d’archivistes sénégalais se rendra en France afin de consulter un certain nombre de fonds historiques. Une opération de transparence qui vise à « démonter » les accusations d’insincérité à son égard.

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Source : Le Monde

 

 

 

 

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