L’ENFANCE VOLÉE DES PETITS BERGERS

À Ndiaganiao, dans la région de Thiès, des enfants de 5 à 15 ans marchent jusqu'à l'épuisement sur les chemins de la transhumance. Sacrifiés au nom d'une tradition ancestrale, ils parcourent des centaines de kilomètres à la recherche de pâturages

SenePlus – D’après une enquête approfondie menée par la Maison des Reporters, une réalité troublante se dévoile dans la région de Thiès, plus précisément à Ndiaganiao. Des enfants, certains à peine âgés de cinq ans, sont contraints de participer à la transhumance, une pratique ancestrale qui les expose à des dangers considérables et compromet leur développement.

L’histoire de Modou Tine, 11 ans, illustre de manière poignante cette réalité. Comme le rapporte la Maison des Reporters, le jeune garçon porte encore les stigmates d’un violent affrontement à la machette. « C’était dur. Le sang coulait de partout », confie-t-il, la voix tremblante, évoquant une dispute pour la possession de chèvres qui a dégénéré avec un autre berger de 16 ans.

Le parcours de Modou est emblématique d’une pratique généralisée dans la région. Privé d’éducation dès son plus jeune âge, il confesse avec amertume : « Je ne vais pas à l’école parce que mon père a refusé. Je n’ai pas d’autre choix que de me plier à sa décision, même si mon rêve était de devenir médecin. » Chaque année, dès le mois d’avril, il entame un périple épuisant de Ndiaganiao jusqu’à Dahra Djolof ou au Saloum.

L’enquête révèle des conditions de vie alarmantes. Les jeunes bergers marchent quotidiennement « au minimum 15 kilomètres ». Leur régime alimentaire, décrit par Modou, est d’une monotonie préoccupante : « Le matin, nous avons du couscous et du lait caillé pour le petit-déjeuner, du riz sans poisson ni légumes à midi, et encore du couscous le soir. »

Le cas d’Omar Faye, six ans seulement, illustre la perpétuation de ce cycle. Son père, Ndiène Faye, assume pleinement ce choix : « Dans quelques années, je n’aurai personne pour garder mon bétail. Je le prépare donc à la relève. C’est le cycle de notre vie. »

Le sociologue Ousmane Ndong, interrogé par la Maison des Reporters, explique ce phénomène : « C’est dans les pâturages qu’on apprenait à être homme […] Traditionnellement dans ce village, faire expérimenter la transhumance par un enfant était comme une obligation dans les différentes étapes de développement et de formation de l’homme. »

Pourtant, comme le souligne le juriste Harouna Ba dans l’enquête, ces enfants sont « en danger » et leur situation viole plusieurs dispositions légales. Le Code du travail sénégalais interdit le travail des enfants de 6 à 15 ans, et la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par le Sénégal, proscrit l’exploitation économique des mineurs.

Alassane Ndour, aujourd’hui trentenaire, partage son expérience avec la Maison des Reporters : « Mon propre père m’a extirpé de ma classe de CM2 pour cette activité. Je souhaiterais tant pouvoir revenir en arrière. Je suis hanté par l’idée de ce que j’aurais pu devenir si je n’avais pas abandonné l’école. »

Face à cette situation, les voix s’élèvent. Modou Tine lance un appel poignant : « C’est terriblement difficile pour nous les enfants […] Je conseille aux parents de garder leurs enfants près d’eux et de veiller sur leur avenir. »

L’enquête de la Maison des Reporters révèle également que le projet de Code de l’enfant au Sénégal, qui pourrait mieux protéger ces jeunes bergers, reste en attente de vote, illustrant la complexité de concilier traditions séculaires et protection de l’enfance.

Cette pratique persistante soulève des questions cruciales sur l’avenir de ces enfants et la nécessité de trouver un équilibre entre préservation du patrimoine culturel et respect des droits fondamentaux de l’enfant.

 

 

Source : SenePlus (Sénégal)

 

 

 

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