« Si vous êtes noir, ce n’est plus possible de vivre ici » : en Tunisie, ces migrants qui ont changé de plan de vie face au racisme

Info MigrantsEn Tunisie, la situation des migrants subsahariens ne cesse de se dégrader. Pays de transit sur la route de l’Europe pour certains, mais aussi pays d’arrivée pour de nombreux exilés en quête d’un emploi, le pays est devenu un piège que beaucoup cherchent aujourd’hui à quitter. InfoMigrants a recueilli les témoignages d’exilés qui ont décidé de donner à leur vie une autre direction pour échapper à cette situation.

Amadou*, étudiant à Tunis : « Le plus important, c’est de me dire qu’en 2025 je ne serai plus ici »

Ça fait deux et demi que je suis en Tunisie. Je vis à Tunis. Normalement, je devais rester trois ans pour faire un MBA en marketing, mais je vais partir avant la fin de cette année et rentrer dans mon pays.

Ça fait un moment que je veux rentrer mais j’hésitais parce que je devais terminer mes études. Je ne pouvais pas rentrer sans rien alors que j’étais venu pour avoir un diplôme. Mais maintenant, le plus important pour moi c’est de me dire qu’en 2025 je ne serai plus ici.

Ma décision de rentrer a été prise avec ma famille. Ce sont beaucoup de choses qui m’ont fait prendre ma décision : les complications administratives surtout, mais aussi l’ambiance qu’il y a ici maintenant…

Ce qui a tout déclenché, c’est le discours du président Saïed en février 2023. À partir de ce moment-là, on a dû changer de vie, et même de comportement. Mes emplois du temps ont changé car il faut maintenant être à la maison à une certaine heure sinon ça peut être dangereux d’être dehors quand on est noir. Je rentre chez moi à 18 heures, maximum.

Le 21 février 2023, le président tunisien Kaïs Saïed a prononcé un virulent discours antimigrants lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale. Le chef de l’État avait alors évoqué des « hordes des migrants clandestins » dont la présence en Tunisie serait source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ».

À l’université, la situation est normale mais c’est dans le reste de la ville que nous avons des problèmes. Je n’ai pas subi d’agression mais des insultes dans le métro ou le bus.

Cette ambiance xénophobe, en plus des difficultés administratives pour obtenir un titre de séjour, c’est insupportable. Même si Kaïs Saïed n’avait pas été réélu, je serais parti. De retour dans mon pays, j’aimerais me lancer en autoentrepreneuriat dans le marketing.

Wilfried, Camerounais : « Si vous êtes noir, ce n’est plus possible de vivre ici »

Je suis ici depuis décembre 2022. Initialement, je voulais rester ici et demander l’asile. Mais il n’y a pas de système d’asile ici, ni de droits de l’Homme donc j’ai changé mes plans et je vais rentrer dans mon pays.

C’est le fait d’avoir été kidnappé récemment qui a été déterminant dans ma décision de rentrer au Cameroun. Car ici, la situation est de pire en pire et nous ne pouvons plus trouver de travail, ni louer un logement. Si vous êtes noir, ce n’est plus possible de vivre ici. Actuellement, je dors dans une maison en construction et je n’arrive même plus à acheter à manger.

Les kidnappings d’exilés se sont multipliés ces derniers mois en Tunisie. Les kidnappeurs – des Tunisiens mais aussi souvent des Subsahariens – enferment leurs victimes dans des maisons isolées et les battent en appelant leurs familles au téléphone afin de leur soutirer de l’argent, en échange de la libération de leurs proches.

Après avoir été libéré, je suis allé voir l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour demander un retour volontaire mais, à ce moment-là, tout était bloqué et ils m’ont dit de revenir après l’élection présidentielle.

Le président Kaïs Saïed a été réélu avec plus de 90 % des voix lors de l’élection présidentielle du 6 octobre 2024. Le scrutin a été marqué par une très forte abstention.

J’ai prévenu des amis que j’allais rentrer mais pas ma famille parce que, de toute façon, ils sont tous en prison au Cameroun. Je viens de la région anglophone du Cameroun qui est en crise. Toutes les maisons ont été brûlées et je risque d’être arrêté en rentrant. Mais s’il m’arrive quelque chose, tant pis, je préfère que ce soit dans mon pays plutôt qu’en Tunisie.

Vincent, camerounais kidnappé puis emprisonné : « Il vaut mieux prendre le risque de traverser la mer que de vivre ici »

Quand je suis arrivé en Tunisie en janvier 2023, mon objectif était de prendre la mer pour aller en Italie. Mais après avoir passé du temps sur place et vu les complications, j’ai changé de direction. Je me suis dit que si je pouvais m’établir ici, je pourrais trouver un petit boulot et envoyer un peu d’argent à ma famille au Cameroun.

J’ai approché le HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés) à ce sujet en janvier 2024 pour déposer une demande d’asile. Mais j’ai eu beaucoup de complications pour être enregistré et une fois enregistré, le gouvernement tunisien a fermé le Conseil tunisien des réfugiés (CTR) ainsi que l’ONG Terre d’asile [qui participaient à l’accompagnement des demandeurs d’asile en Tunisie ndlr]. Et le HCR est aussi resté fermé pendant une bonne période.

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Julia Dumont

Source : Info Migrants – (Le 01 novembre 2024

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